La mort dans l'âme, nous nous encordons, et reprenons
en sens inverse le chemin parcouru si allègrement un mois
auparavant.
Adieu! c’est bien fini !
La partie est jouée, mais elle est perdue !
*
La neige n’est pas bonne, et nos coolies attelés au traîneau
ont beaucoup de peine à le faire démarrer ; une fois
lancé il avance assez rapidement; mais à chaque halte, nouveaux
efforts pour le remettre en mouvement.
Il nous faut plus de quatre heures pour atteindre le camp
X où, pendant une heure et demie, nous ouvrons toutes les
kiltas, pour en remplir une dizaine de lait, de, sucre et de,
conserves qui doivent nous servir jusqu’à Rdokass; nos
hommes reviendront les chercher, car aujourd’hui nous
allons coucher au camp IX, où nous passerons la journée de
demain.
A mesure que nous descendons, mon influenza se dissipe
rapidement. Une boîte de lait condensé, bue d’un trait, semble
m’avoir infusé un sang nouveau; la gorge me fait encore
souffrir, la respiration reste gênée ; mais le mieux est manifeste,
et c’est plein d’entrain que j’arrive au camp IX, en
même temps que les premiers coolies.
Maintenant la neige a disparu, et la marche des jours suivants
sera beaucoup plus facile.
Nous trouvons à ce camp trois hommes envoyés par les
Autrichiens avec le courrier d’Europe ; 13 lettres et 3 cartes
pour moi et trois semaines de Gazette de Lausanne : de la
lecture pour quelques jours !
5 août. Je vais décidément mieux. Pendant les heures
d’inaction que nous crée l’absence des coolies remontés au
campX, j’ai le loisir de lire et de relire les bonnes nouvelles
d’Europe.
Mais, comme pour nous retourner le couteau dans la
plaie, la plupart de ces lettres ne contiennent que des félicitations
anticipées sur l’heureuse réussite, du voyagé ; tous
mes correspondants sont persuadés que nous avons atteint
le but de l’expédition, et que nous rentrons vainqueurs., Et,
cruelle'ironie, c’est au pied même de la montagne que ce
concert de louanges m’atteint, alors que nous en touchons
encore les rochers
inférieurs ; c’est le
jour même où nous
avons abandonné
notre dernier
camp, qu’arrivent
en foule les témoignages
d ’admiration
de tous. ces
bons amis qui ne
: sauraient concevoir
l’idée d’un
échec !
C’est plus que
je. n’en peux supporter:
(189.) Mitre Peak, vue dû bas du glacier de Godwin-Austen.
bien qu’à peine convalescent, je me sens une ardeur
extraordinaire ; il me semble qu’avec deux hommes
de bonne volonté je puis encore faire une tentative,'et
qui sait? si ce n’est atteindre le sommet, battre au
moins le record de l’altitude. Une grande pente de neige,
uniforme et pas trop inclinée, conduit à une des arêtes
principales du Chogori ; le temps paraît se remettre momentanément,
et j’ai sous la main deux de nos naukhar-
coolies, qui sont disposés à m’accompagner, à gagner la
forte somme que nous avions promise à ceux qui. contribueraient
à nous faire atteindre le sommet. Je vais consulter
les organisateurs de l’expédition, et cherche à les
convaincre de la possibilité d’une réussite du moins paris