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la profondeur réglementaire ; un Arabe ou un police-
man indigène perché sur un méhari qui allonge disgracieusement
ses jambes gigantesques ; une petite station,
dont le chef vient saluer le navire au passage: tout cela et
bien d’autres motifs viennent rompre agréablement la
monotonie d’une traversée prolongée encore par l’allure
excessivement ralentie du navire.
La partie profonde du canal forme.un chenal marqué par
deux rangées de bouées bi-côniques, rouges à l’ouest, noires
et blanches à
l’est. Les navires ne
peuvent pas dépasser
l’allure de 8 kilo-
, mètres à l’heure, fa-
3 cile à contrôler au
moyen de bornes,
i kilométriques sur la
berge occidentale,
milliaires sur la rive
orientale. De temps
à autre,, un gros G
à droite ou un L à
gauche indiquent
un garage, seuls endroits
(3.) Drague dans le Canal de JSuez.
permettant le croisement ; un service très rigoureux
en règle le lieu et l’heure.
Dans l’après-midi, une tempête de sable s’abattit sur le
canal, obscurcissant l’atmosphère et rendant intenable le
séjour sur le pont ; force fut de se réfugier dans les cabines;
mais, une heure plus tard, la tourmente avait passé, laissant
l’impression d’un mauvais rêve dont il reste cependant quelque
chose déplus concret, sous forme d’une fine poussière
qui a tout recouvert, tout envahi et pénétré partout.
Avec la nuit entre en fonction un employé de la Compagnie
du canal, monté à Port-Saïd, et chargé d’éclairer l’avant
du navire, au moyen d’un puissant fanal électrique dont le
courant provient d’une petite dynamo et d’une turbine
branchée occasionnellement sur la chaudière. Cet électricien
est depuis plus de 35 ans au service de la Compagnie ;
par tous les temps et en toute saison, il va s’installer dans
une niche fixée en avant de la proue et y reste toute la nuit
à surveiller le bon fonctionnement de la lampe.
Ce fanal sert non seulement à éclairer la marche du
navire, mais encore à signaler sa présence aux pilotes des
autres vaisseaux. Le canal prend alors un tout autre aspect :
sous le cône étroit de lumière intense, les berges de sable
brillent comme d’énormes lingots d’argent, tandis que l’eau
prend des teintes glauques moirées de reflets blanchâtres
et chatoyants, presque irréels. Des papillons de nuit traversent
en fusée phosphorescente la gerbe étincelante et
ajoutent encore à l’étrangeté du spectacle.
On passerait volontiers toute la nuit à jouir de cette
féerie. Mais, à Ismaïlia, une attente prolongée, nécessitée
par le croisement de plusieurs grands navires, finit par vous
pénétrer d’une demi-inconscience; involontairement, on
ferme les yeux, pour les rouvrir brusquement... à Suez.
Les grues à vapeur, les préparatifs bruyants pour le
débarquement des marchandises, la sortie du canal, l’arrivée
au port, vous tirent de votre rêverie, pour vous plonger
dans un monde nouveau, non plus irréel, mais bien étrange,
tout imprégné d’exotisme pour nos yeux européens : nous
abordons l’Orient.
Les cris des indigènes, dans de petites barques à voile
latine, offrant leur marchandise : oranges, dattes, figues,
coraux, poissons-lune, objets de pacotille, cigarettes,' plumes
d’autruche, cornes d’antilopes ; la manutention des
marchandises et des bagages, faite exclusivement par des
indigènes qui remplacent définitivement à bord les Européens
; les couleurs bigarrées des costumes et des turbans;
le langage incompréhensible aux sons gutturaux de tout ce