un soin extrême à se dérober à la vue des Européens, et des
étiangers en général; les enfants sont encore plus sauvages,
et s enfuient d’aussi loin qu’ils nous aperçoivent.
Pendant toute la journée, femmes et enfants sont dans les
champs, surveillant l’irrigation, arrachant les mauvaises
herbes ou suivant le chef de famille derrière la charrue,
pour casser les mottes ou égaliser le terrain. L’arrosage des
champs et de toutes les cultures est pratiqué jusqu’au fond
des vallées les plus reculées, et contribue à faire produire au
sol infiniment davantage
que dans
les régions similaires
des Alpes.
Le matin de
bonneheure, je me
rendais parfois sur
une éminence
pour jouir des premiers
rayons du
soleil,; de là, au
moyen de mes
jumelles, je cherchais
à surprend re
(99-) Yaéks à la charrue.
quelques traits de moeurs de ces populations que nous ne pouvions
jamais aborder. Les charrues sont tout en bois, même
le soc, et si légères que les hommes les portent sur l’épaule
pour se rendre.aux champs ; elles sont attelées d’une variété
de yacks bruns noirs, aux poils longs et soyeux, à l’aspect rébarbatif
et même sinistre, mais au demeurant les meilleures
et les plus douces bêtes du monde. Le joug repose sur leur
nuque un peu renflée et n’est pas fixé aux cornes, comme
ailleurs ; deux pièces de bois empêchent seulement que
les bêtes ne s’écartent l’une de l’autre ; le laboureur les
excite de la voix par un son guttural impossible à transcrire
(« rha ! » en râclant et aspirant fortement le r, à la manière
d’un bronchitique qui ne peut expectorer). —■ Un enfant peut
tenir lés cornes de la charrue, tant elle est légère, et tant le
sol est friable et sablonneux.
Les femmes suivent leur mari, vêtues d’une simple chemise,
souvent rapiécée du haut en bas; mais sur ces haillons
s’étalent des quantités innombrables de bijoux de toutes formes
et de toutes grosseurs, le plus souvent en cuivre ou en
laiton, parfois en argent et même en or, fixés sur leur poitrine,
de manière qu’en marchant toute cette ferblanterie
s’entrechoque et fait songer à nos marchands ambulants
d’objets de cuisine. Elles vont en général pieds nus; quelques
unes, les favorites probablement, ont de grosses bottes
serrées à la cheville et qui leur vont jusqu’à mi-jambes, faisant
perdre à leur démarche la grâce naturelle et l’élasticité
de celles qui n’ont pas de chaussures. -
Les coolies revinrent de Bardumal le 3 juin, annonçant
que le chemin était assez bon : le pont de cordes du Punmah,
un affluent, avait été remis à neuf; mais, en passant la rivière
à gué, avec quelques précautions, près de son embouchure
dans le Braldoh, on arriverait facilement à gagner un jour
de marche, en évitant le détour par le pont.
Nous n’attendions plus que le retour de ce premier convoi
pour nous remettre en route ; le repos que nous venons
de prendre nous a rendu toute notre énergie ; nous sommes
impatients de commencer enfin la dernière étape de notre
entreprise, et de voir se réaliser notre beau rêve ; et nous,
sommes loin de nous douter que ce que nous avons éprouvé ,
de plus pénible jusqu’à présent ne représente qu’un avant-
goût de nos aventures subséquentes, et que maintenant seulement
commence la partie vraiment sérieuse de ce grand
voyage.
Le départ est fixé au 5 juin. Nous prenons avec les autorités
du village les derniers arrangements relatifs au ravitaillement
de notre troupe et à l’achat de la farine dans les