quement, un étourdissement plus ou moins prolongé nous
force à nous accrocher à n’importe quoi ou à nous rasseoir.
Et ces premiers symptômes d’anémie cérébrale momentanée,
loin de disparaître par l’acclimatement, augmenteront
énormément par la suite, en fréquence et en intensité.
La diminution de la pression a d’ailleurs sa répercussion
dans tous les domaines; nos bouteilles de champagne ne
sautent pas, car elles sont suffisamment solides; mais il
arrive fréquemment que certaines boîtes de conserves, préparées
au bord de la mer et contenant un liquide où l’air est
en dissolution, se
répandent en écume
au moment où
on les ouvre, et se
vident en bonne
partie. Inconvénient
minime encore,
à côté d’un
plus grave : l’eau
bouillant à 82 degrés,
toute une catégorie
d’aliments
n’arrivent pas à
se ramollir par la
cuisson : le riz, l’orge perlé, et surtout les légumes secs
comprimés de Chollet, exigent un séjour de plusieurs
heures dans l’eau bouillante. Nous avons bien la cuisine
Müller, dite économique, genre marmite norvégienne, pour
maintenir à une haute température les aliments qui exigent
une longue cuisson; malgré le froid, nous retrouvons au.
matin encore bons tièdes les potages que nous y avons enfermés
le soir précédent; mais les légumes n’en sont pas
plus tendres. Il m’est arrivé entr’autres de cuire pendant
une demi-heure à tous les repas, et cela durant trois jours,
une soupe au riz restée légendaire, qu’en désespoir de cause
je finis par manger1 seul, au grand amusement de mes camarades,
qui avaient parié que cette soupe resterait éternellement
dans le môme état, et que personne ne la mangerait
jamais. Je gagnai mon pari, mais j’y laissai une aurification !
Au reste, pendant les premiers temps de notre séjour au
camp X, nous jouissons d’un excellentappétit, que le régime
rapidement insipide des conserves ne parvient pas encore à
diminuer.
Toutefois, certains produits déclarés parfaits aux essais
préliminaires faits en Europe ne trouvent pas longtemps
grâce devant ce qui, au début, nous semble être de la
gourmandise. Cette répugnance pour toute une catégorie
d’aliments en conserve s’explique cependant facilement,
quand on se rend compte qu’ils n’apparaissent que fortuitement
dans l’ordinaire de nos repas européens, où la viande
et les légumes frais tiennent à juste titre la place prépondérante.
Là-haut, nous n’avons malheureusement pas le choix :
nous recevons bien du mouton et du pain frais ; mais celui-
ci se dessèche vite, et quant à la viande, les alternatives
de chaud et de gel par lesquelles elle passe avant d’arriver
jusqu’à nous la rendent immangeable, ou du moins peu
appétissante. De temps à autre, un quartier de mouton nous
parvient en meilleur état qu’à l’ordinaire; mais c’est au détriment
des porteurs, qui sont montés par un temps défavorable;
en outre, le plus souvent elle ne tarde pas à moisir,
même au fond de la crevasse où nous descendons toute la
provision.
Mais hélas ! même les potages à l’extrait de viande et les
soupes concentrées qui nous paraissent au début supérieurs
au bouillon de mouton dont nous sommes gavés depuis
bientôt quatre mois, (finissent par nous lasser et nous revenons
au dit bouillon avec un plaisir que nous ne nous serions
pas cru capables d’éprouver à nouveau.
Les Baltis ont une manière assez curieuse de se procurer
de l’eau sur les glaciers, à une hauteur où il n’en coule guère: