adresse un petit discours en hindoustani au chef et à ses
deux acolytes, leur reprochant leur conduite indigne et le
mauvais exemple qu’ils donnent au reste du personnel;
puis, leur ayant réglé ce que nous leur devons, déduction
faite de la valeur du sucre volé, nous leur enjoignons de
quitter les lieux séance tenante. Exécution du plus salutaire
effet, puisque, dès lors, nous n’aurons plus aucun sujet de
plainte à l’endroit de nos gens.
Mais nous n’en avons pas fini encore. Un des, cuisiniers,
ayant remarqué les yeux d’envie que le petit Hassan jetait à
son costume et spécialement à son turban, qui lui avaient
été fournis gratuitement par nous à Srinagar, lui propose, au
moment de s’en aller, de lui acheter son complet, y compris
le turban, pour cinq roupies. Le marché conclu, au moment
où Napoléon, qui vient de recevoir ce surnom comme je l’ai
conté plus haut, débourse ses cinq roupies, fruit de près
d’un mois de travail, Crowley s’aperçoit du manège : il saisit
le cuisinier au collet et le force à rendre les cinq roupies et
à vider les lieux, vêtu du costume qu’Hassan lui a donné en
surplus de l’argent. Je renonce à décrire la mine piteuse
de notre maître coq, affublé de pantalons trop courts et
d’un veston dont les manches s’arrêtent au-dessous des
coudes.
Après quoi, nous écrivons au tahsildar de Skardu pour
lui raconter ce qui vient de se passer et lui recommander
particulièrement nos trois oiseaux. Nous apprîmes plus tard
que le tahsildar les reçut avec le cérémonial d’usage en
pareille occurrence, leur offrant le logement et le couvert
aux frais du Maharajah pendant quelques semaines. Au
sortir de prison, ils regagnèrent Srinagar, où nous eûmes
l’occasion de les rencontrer plusieurs fois à notre retour
; ils ne parurent nullement nous garder rancune et
affectèrent de nous saluer courtoisement, comme avant
leur disgrâce.
Nous remplaçons ces cuisiniers par deux de nos naukhars,
Rham-Sana et Ebiba, qui recevront une roupie de
plus par mois, et les deux Chicaris, Salama et Abdulla-Bat,
passent au rang de chefs du personnel, ce qui ne fait qu’augmenter
leur zèle.
Nos coolies, de leur côté, nous accompagnent avec joie
et aucun ne manifeste la moindre plainte, bien que certaines
charges soient assez lourdes et souvent mal commodes à
(120.) Coolies attendant la paye.
porter. Ce sont d’ailleurs pour la plupart de beaux et solides
gaillards, d’excellents montagnards, habitués à porter de
lourds fardeaux en montant comme en descendant, et d’une
sobriété étonnante. J’ai déjà eu l’occasion de parler de leur
régime ; j’ajouterai qu’ils ne prennent jamais d’alcool ; nous
leur fournissons, quand la température est basse, du thé,
qu’ils boivent avec du sel, et du tabac, qu’ils allument dans
*) On se rappelle sans doute que ce nom avait été donné au pauvre
diable v elu exhibé dans quelques-unes de nos ville s, il y a deux ou
trois ans, comme un spécimen r em a r q u a is d’homme primitif.