peut à peine les suivre dans leurs évolutions, laissant sur la
rétine l’impression d’une bigarrure compliquée, dont la résultante
est une teinte violacée des plus chatoyantes. La disparition
du soleil derrière le Chogori n’interrompt pas ce
magnifique phénomène, qui se prolonge longtemps encore,
pour le plaisir des yeux.
En examinant à la jumelle les détails de l’arête qui descend
jusqu’à nous, orientée approximativement au sud-est,
nous arrivons à la conclusion que l’ascension peut être tentée
dans cette direction. Par de larges couloirs évasés, puis
par des pentes uniformes d’une inclinaison moyenne de 40
à 45 degrés, nous devons arriver à gagner cette arête; elle
est très inclinée, et le haut en est coupé de bandes jaunes
transversales où la neige ne paraît pas avoir tenu bien longtemps,
tandis que tout autour elle règne encore en maîtresse
; mais, jusqu’à plus ample informé, nous tenons cette
voie comme susceptible d’être suivie, et décidons qu’au
premier beau jour nous tenterons de nous élever dans cette
direction.
C’est à Crowley, Pfannl et moi qu’est réservé l’honneur
de former la première caravane. A ce sujet, il avait été très
rigoureusement entendu, encore en Europe, que les raisons
qui détermineraient le nombre et le choix des premiers
appelés à tenter l’ascension ne seraient invoquéeà que sur
les lieux mêmes, selon les circonstances, et que chacun s’inclinerait
sans objection devant la décision de la. majorité. Et
comme il ne s’agissait point d’un concours entre nous, mais
d’un résultat à atteindre, peu importaient les personnalités
ou les nationalités ; si un seul arrivait au sommet, le mérite
en rejaillissait sur l’expédition dans son ensemble, et l’heureux
élu n’en tirerait ni gloriole, ni bénéfice égoïste et exclusif
; chacun devait travailler dans la mesure de ses forces à
assurer, non son propre succès, mais celui de l’expédition,
de la manière qui serait jugée la plus favorable par la majorité
. D’ailleurs, à ce moment-là, chacun eût été également apte
à tenter l’ascension ; tous nous nous sentions dans d’excellentes
dispositions, nonobstant quelques malaises individuels
peu appréciables encore, et sans grande importance.
Nous nous occupons aussitôt des préparatifs : nous décidons
de construire, au moyen d’une paire de skys, un traîneau
sur lequel on fixera, outre nos sacs d’édredon et une
tente Mummery, une kilta renfermant des provisions pour
trois jours ; le tout sera amené si possible jusqu’à la bande
horizontale de rochers jaunes dont j ’ai parlé plus haut;
quatre coolies nous aideront dans ce travail, qui constituera
la première étape d’avancement.
Si la neige et la régularité de la pente s’y prêtent, on utilisera
une poulie et une corde de 150 mètres pour hisser le
traîneau de 75 en 75 mètres.
Si l’on peut atteindre le même jour la bande de rochers
en question, les coolies redescendront, pendant que nous
chercherons un endroit favorable pour y dresser la tente, et
poursuivrons l’ascension le lendemain.
Parmi nos conserves, celles qui nous paraissent le plus
appropriées sont les boîtes avec appareil à cuisson (selbst-
kocher) ; je fais en outre cuire un quartier de mouton frais,
qu’Eckenstein a apporté jusqu’ici en assez bon état, grâce
au mauvais temps et à la basse température dont il a «joui »
durant son rapide voyage. Puis chacun y ajoute quelque
article qu’il apprécie plus particulièrement.
Dans l’après-diner de ce jour mémorable, tout en mettant
la dernière main aux préparatifs, nous décidons que Knowles
et Wessely se joindront à nous pour la journée de demain,
si possible jusqu’à la bande de rochers, mais reviendront en
tout cas coucher au camp.
La bise, qui n’a cèssé de souffler assez violemment dans
la matinée, augmente encore d’intensité dans la soirée, au