Le parao est établi au bas d’un énorme éboulis, exactement
au sud du sommet de notre géant et à l’ouest d’un glacier
surplombant, dont le front en forme d’énorme larme solidifiée
présente une épaisseur de 40 à 60 mètres. D’une
glace très pure, bleuâtre, il laisse échapper de temps à autre
sur un de ses côtés quelques séracs, qui rebondissent jusqu’à
la moraine du glacier principal.
Les hommes de Pfannl et Wessely ont laissé dans des
abris encore plus rudimentaires que les précédents, des
traces évidentes de leur passage sous forme de sacs de
« tschupatis » qu’ils n’ont pas voulu porter plus haut
et avec raison. Vers 10 heures en effet, nous apercevons,
au milieu des crevasses et des séracs qui nous séparent
du camp X, de longues files d’indigènes qui dégringolent
avec rapidité et sont bientôt auprès de nous ; ils
arrivent en partie
encordés ; d’autres
se bornent à tenir à
la main une corde,
qu’ils laissent d’ailleurs
traîner le plus
souvent ; le reste
enfin marche à la
débandade, sans
cordes et sans souci
des crevasses. Ils
B U ! WÊ ont effectué la mon- 065.) Vue du Camp IX, à 1 E.
tée en deux heures
environ, et la descente en une. Pendant qu’ils nous donnent
quelques détails sur les conditions dans lesquelles s’est
effectué leur voyage, et qu’ils se reposent en cassant une
croûte, arrivent les premiers porteurs de notre escouade,
qui ont l’air assez éprouvés, malgré la brièveté de la dernière
étape. Nous n’insistons pas plus qu’il y a un instant
pour poursuivre la marche aujourd’hui, d’autant plus que
bon nombre d’entre eux se plaignent de nouveau de maux
de tête, et quelques-uns de conjonctivites, faute d’un nombre
suffisant de lunettes fumées. J’ai fort à faire à soigner tous
ces impotents, à leur instiller à chacun quelques gouttes de
cocaïne, ou à distribuer force antipyrine et force morphine,
mais, à la fin, chacun se retire content et va s’abriter derrière
les murets épars, au flanc du pierrier.
Nous dressons notre tente sur la neige, faute d emplacement
suffisant sur le terrain trop incliné et, les pieds au
chaud dans de bons sacs d’édredon, je me mets à étudier
les dernières traces de végétation qui apparaissent
encore au milieu de l’éboulis ■, j’ai naturellement recours
aux jumelles, et vous pouvez vous faire une idée de la valeur
de mes observations ! Jusqu’à présent, on connaissait,
par le professeur Levier, les «florules en pantoufles» du Caucase
; mais les florules à la jumelle de l’Hindu-Kush, TOilà
certainement quelque chose de nouveau. J’ai l’excuse, poui
cette méthode scientifique inédite, de devoir repasser prochainement
dans cet endroit ; et de fait, au retour, je pourrai
recueillir, à l’altitude de 5300 mètres, les derniers vestiges de
végétation de cette région élevée. (Voir appendice : résultats
scientifiques de l’expédition).
Au reste, la vie se manifeste dans ces régions sous une
autre forme encore : les choucas y prennent leurs ébats bien
au-dessus de 6000 m., fait qui n’avait pas été observé jusqu’à
maintenant.
Le glacier de Godwin-Austen bifurque à nos pieds en une
sorte d’Y, dont la branche occidentale prend naissance aux
flancs et sur les contreforts ouest du Chogori nous allons
remonter sa branche orientale, beaucoup plus longue, et
partant plus considérable. Mais cette région est absolument
inconnue ; les géographes et les ingénieurs du service topo-
graphique n’ont jamais poussé leurs investigations aussi
haut ni aussi loin ; c’est de l'exploration pure que nous allons
entreprendre. Crowley s’est chargé de la première partie de