Partis de Gol entre 6 h. et 7 h., ils arrivent en rangs serrés
à 1 1/î h., ayant ainsi effectué un parcours de 35 k en moins
de 7 h. avec une charge de 25 à 30 kg. et pieds nus.. On
irait loin chez nous avant de rencontrer 150 individus pris au
hasard dans un village et prêts à faire un tel tour de force;
pourtant ces porteurs n’en tirent aucune vanité ; pour un peu
ils paraîtraient confus qu'on leur en témoigne de l’éton-
nement.
A peine arrivés,les rajahsqui se partagent legouvernement
de la contrée, sous la suzeraineté du Maharajah de Srinagar,
viennent nous saluer et essayer d’entamer un bout de conversation
; malheureusement, ils ne connaissent, à côté de
leur patois, que le thibétain, et Pfannl, qui s’est escrimé
pendant plusieurs mois à « bûcher » cette langue ingrate,
n’arrive pas à leur tenir de bien longs discours ; tout l’hin-
doustani de Crowley et d’Eckenstein y passe en pure perte
et, faute de mieux, on s'excuse mutuellement de son ignorance.
D’ailleurs ces visites cérémonieuses nous incommodent
plus qu’elles ne nous charment ; et nous prierions poliment
ces messieurs de nous en faire grâce, n’étaient leur
affabilité, les pâtisseries qu’ils nous envoient tous les jours,
et surtout l’autorité dont ils jouissent sur leurs administrés :
nous aurions tout à perdre en nous les rendant hostiles ;
nous subissons donc leur gênante présence, humant, de la
meilleure grâce du monde, les bouffées de fumée qu’ils
tirent de leur tabac indigène.
Leurs pipes, énormes, montées sur une corne de yack,
pleine d’eau, à travers laquelle la fumée passe comme dans
un narghileh, sont l’objet d’un soin particulier ; car fumer,
pour un rajah, est un sacerdoce qu’il remplit avec autant de
dignité que de sérieux comique ; et vous pouvez vous tenir
pour très honoré quand, après avoir fait passer cette pipe
à ses plus proches parents, il vous accorde l’insigne honneur
d’en tirer à votre tour quelques bouffées.
Le.«tahsildar » de Skardu est un personnage encore plus
important que les rajahs, en sa qualité de représentant de
l’autorité anglaise ; c’est avec lui que nous devons prendre
les arrangemen ts pour pouvoir continuer notre voyage ; puis,
une fois partis, c’est encore lui qui se chargera de faire suivre
notre correspondance, et soignera nos intérêts durant les
quatre mois que nous allons passer dans les vallées supérieures
et sur le glacier. Malheureusement, ce brave « tah-
sildar » n’a pas souvent l’occasion de voir des médecins,
spécialement des médecins européens; aussi se découvre-t-il
pour la circonstance une quantité innombrable de maladies,
ce qui ne contribue pas à raccourcir les entretiens et les
pourparlers.
Mais enfin, la besogne avance, et nous comptons bien
dans quatre jours quitter Skardu pour la vallée de Shigar.