Faute d’emplacement horizontal assez grand pour poser
la tente Whymper dans les éboulis du Chogori, on l’installe
sur les débris d’une « menée » de neige, tandis que la petite
tente en soie de Mummery dont je suis muni trouve une
place suffisante dans un des espaces aménagés par les Bal-
tis sur la pente opposée au glacier. Quel plaisir de reposer
de nouveau sur terre ferme et au sec ! Quel sentiment
de bien-être ! Et que sera-ce quand les pelouses succéderont
aux terrain dénudé, ou quand le toit rustique du dak-
bungalow étendra au-dessus de nos têtes un couvert moins
précaire que celui de nos tentes !
En attendant, je goûte, dès ce soir, à l’abri de ma petite
Mummery, un plaisir
ineffable à relire
une Gazette de Lausanne
; peu à peu
j’en arrive à oublier
complètement que
je suis à 5500 mètres
au-dessus de la mer
et à plus de 6000 kilomètres
de la Suisse ;
dans la douce somnolence
qui m’envahit
bientôt, je me
retrouve en Europe
au milieu des êtres qui me sont chers, avec la perspective
agréable de revenir bientôt au Baltoro et d’atteindre sans
aucun doute le sommet du géant au pied duquel je suis
couché. Ce mélange de fiction et de réalité finit par un sommeil
réparateur comme je n’en avais pas goûté depuis longtemps.
Au matin, Pfannl également se sent tout dispos lorsque,
après un bon déjeuner, nous reprenons le chemin du glacier,
maintenant tout débarrassé de sa neige d’hiver. Nous avons
peine à nous représenter qu’au camp XI elle n’ait fait qu’augmenter
à mesure que l’été avançait, alors que cinq cents
mètres plus bas elle continuait à disparaître avec rapidité.
Nous ne nous en plaignons pas : la marche est grandement
facilitée sur la glace découverte, peu chargée de débris mo-
rainiques. Tantôt nous suivons les stries longitudinales du
glacier, bordées parfois
de .séracs fantastiques
donnant l ’impression
d’une interminable procession
de communiantes
sous leur voile blanc,
ou d’une promenade aux
Alyscamps ; tantôt nous
passons d’une strie à
=(i85.) Séracs du glacier de
Godwin-Austen.
l’autre ; mais il y coule
parfois, dans de profondes
dépressions, des torrents
infranchissables,
qui se perdent rapidement
dans des moulins
avec un bruitformidable.
Arrivés en face du q86.) Allées de séracs, entre les Camps VIII et IX.
camp VIII, nous nous
arrêtons longuement avant de nous séparer, Pfannl allant
décidément mieux. Le Chogori est découvert presque entièrement,
malgré le vent d’ouest qui charrie d’épais nuages à
grande allure ; j’en profite pour le photographier à plusieurs
reprises et même pour en faire un nouveau dessin. Puis,
muni d’une série de recommandations et d’instructions
médicales écrites, mon convalescent descend à Bdokass,