les idées changent instantanément de cours : une douce quiétude
m’envahit, et je me prends à souhaiter de vivre ainsi
pendant des semaines et des mois, de la vie contemplative
des prêtres hindous/
Pourtant, les dures nécessités de l’existence nouvelle qui
est notre partage depuis des mois ne sont pas faites pour déplaire
absolument : une fois rentrés dans la vie ordinaire, en
songeant à tout ce qu’on a ressenti « là-bas » j une fois émoussé
ce que les angles avaient de trop aigu, quelque instinct impérieux
réclamera péut-être le renouvellement de côs émotions,
nous poussant à retourner goûter encore à ce philtre
enchanteur....
Pour le moment, à chaque jour suffit sa peine ; il s’agira
demain de regagner le camp XI en faisant d’une traite les
deux étapes ; le ciel se couvre de plus en plus, et, au-dessus
de notre campement abrité, on entend le vent siffler dans les
rochers ; la journée sera rude; le mieux est de s’y préparer
en réparant les fatigues d’aujourd’hui.
Au réveil, il commence à pleuvoir, que la tente n’est pas
encore pliée; je chauffe un « selbstkocher », et nous voilà
partis. Malgré la faiblesse évidente, suite du régime et de
nos longues semaines d’inaction au froid, notre allure est
supérieure à celle que nous avions en faisant le trajet pour
la première fois ; partis à 5 Va heures, nous arrivons déjà à
7 heures au camp X, malgré le brouillard qui nous dérobe la
vue à vingt-cinq mètres et nous a légèrerhent égarés. Heu-
reusement le traîneau de skys, encore debout, attirant les
regards, nous permet de rectifier la direction ; dès lors, nous
marchons à la boussole, et abordons le camp un peu trop
au sud, mais en ayant bien conservé la direction générale,
quoiqu’il n'y eût presque pas de traces visibles. Demi-heure
de halte pour prendre quelques provisions dans les kiltas
et une corde; la première qui nous tombe sous la main n’est
qu’un mauvais spécimen indigène ; mais c’est mieux qoe
rien, comme nous allons l’éprouver tout à l’heure.
Il souffle un vent gl^cé, qui nous fait apprécier la résolution
d’avoir transporté notre tente plus haut à l’abri du rocher
du camp XI ; pendant une demi-heure environ, et quoique
la neige chassée comble peu à peu les trous, maintenant
bien visibles, nous avançons d’un bon pas, passant les
ponts avec circonspection, les sondant tous avant de nous y
aventurer, et faisant parfois de grands détours pour sortir
du dédale de crevasses qui précède la dernière montée.
Tout à coup, au milieu du plus inextricable fouillis, mon
homme disparaît avec une précision et une rapidité des moins
orientales ; il m’entraîne en arrière, malgré mes efforts désespérés,
et nous allons disparaître tous deux dans les profon-
deursdu glacier, quoique, instinctivement, je serre mon piolet
et l’enfonce dans la neige ; j’arrive à un mètre du bord de
l’abîme, quand, par un hasard providentiel, une autre crevasse
s’entr’ouvre : l’un de mes pieds y disparaît, me faisant
incliner assez fortement en avant pour servir de contrepoids
au Balti qui pend au bout de la corde.
Cette seconde de répit permet à mon homme de s’arc-
bouter momentanément aux parois qui l’enserrent, me donnant
ainsi le temps de fixer le piolet rapidement dans la
neige, d’y entourer la corde, et de me décorder.
Il s’agit maintenant de commencer par me dépêtrer des
crevasses qui m’entourent, puis d’essayer de retirer mon
porteur de sa fâcheuse position ; je me trouve être à cheval
sur une arête de glace, de 50 cm. de largeur, limitée par deux
crevasses, dont l’une renferme un Balti, et l’autre guette un
chrétien. Avec force précautions, je réussis à passer le pont
de neige effondré en son milieu, et à amener à moi la corde,
sur laquelle j’essayejen vain de tirer ; mon bonhomme étant
descendu encore plus bas et se trouvant maintenant pincé,
grâce à sa charge, je n’ai pas la force de le retirer de l’étau
qui l’enserre ; après bien des contorsions, il finit par se
dégager de la charge, qui tombe encore plus profond.
Comme mon homme se trouve de nouveau suspendu, je re