Le 10 juillet au matin, le soleil se lève dans un ciel absolument
serein, ce que nous n’avons pas vu depuis près de
trois semaines. La veille au soir, le vent du nord a enfin repris
le dessus, balayant les nuages que le vent d’ouest ramenait
toujours. Le Ghogori, le Broad Peak et les autres montagnes
qui nous entourent présentent une vue idéale, telle
que nous n’en avons
pas encore eu d'aussi
A belle. Le Chogori en
particulier, visible
dans ses moindres
détails, ne paraît pas
aussi rébarbatif que
du camp X ; il semble
même que, d’ici, l’ascension
ne doive pas
(176.) Arête S. du Chogori
vue du camp XI.
K
présenter de difficultés
bien sérieuses, à
part peut-être l’arête
horizontale, masquée
en partie par la paroi
qui nous domine.
Le départ, fixé à
5 heures, est retardé
d’une demi-heure
pour permettre au (I^) camp xi, ™ jour de bise.
soleil de réchauffer un peu l’atmosphère ; car il y a eu
— 12°,5 cette nuit, et la neige en farine a bientôt fait dé
mettre nos pieds au supplice. Les premiers pas sont assez
faciles, grâce aux traces que les Autrichiens ont faites hier
après-midi, en essayant de remonter le couloir un peu
abrupt où nous venons de nous engager. Mais le soleil a
beau briller, nous ne parvenons à réchauffer nos malheureux
pieds qu’en nous arrêtant tous les cinquante pas, et en
les faisant osciller à la manière d’un pendule pour activer
un peu la circulation et ramener le sang aux extrémités engourdies.
Au bout d’une heure environ, nous atteignons un
petit banc de rochers qui émergent de la neige, et où nous
pouvons enfin les ramener à une température plus supportable.
Maintenant le couloir s’évase en un vaste demi-entonnoir,
mais l’inclinaison de la pente augmente encore, de sorte que
nous sommes obligés de multiplier les zig-zags dans une
neige qui ne s’améliore pas, bien au contraire ; elle augmente
encore d’épaisseur et repose maintenant sur une
glace noire d’une grande dureté. Wessely, qui marche en
avant, est obligé de s’arrêter tous les cinquante pas pour
reprendre haleine, et moi, qui n’ai qu’à suivre ses traces, je
suis tout content aussi de ces moments de répit.
Nous notons successivement les hauteurs suivantes que
nous fournit l’anéroïde :
A 6 h. 05, 20,350 pieds.
A 7*h., 20,500 »
A 7 h. 40, 20,700 »
Vers 9 heures, nous débouchons sur l’arête orientale de
notre sommité, d’où la vue plonge à l’intérieur du cirque à
l’entrée duquel est posé le camp XI. D’en bas, la vue de ce
cirque est masquée d’abord par les parois qui le dominent,
puis par une énorme vague du glacier qui s’échappe par la
brèche ; de notre arête, nous le voyons presque en entier.
A première vue, il semble impossible de partir dé ce fond
pour gagner le Chogori; mais, dans la petite partie que
nous ne pouvons distinguer, existe peut-être un point faible
qu’il s’agira d’explorer plus tard, en cas d’insuccès de la
tentative actuelle.
L’anéroïde indique 21,300 pieds.