pour se réchauffer avec le charbon de tilleul que nous leur
donnons chaque jour, et avec lequel ils se créent autour de
l’ombilic un érythème tenace.
&
Nous parlons maintenant sérieusement d’abandonner la
partie ; il suffira d’un rien pour nous y décider.
Le l or août, cinquante-trois jours après que Crowley a
mis le pied sur le glacier, un convoi de pain et de viande
nous arrive, avec la nouvelle que le choléra a éclaté à Asko-
ley et dans les villages voisins.
Qu’allons-nous devenir?
La vallée du Braldoh est fermée à la circulation. A Asko-
ley seulement, il y avait déjà, au départ du messager, vingt
décès et le double de malades ; seule la rive gauche de la
rivière est encore indemne ; il reste la ressource de gagner
Skardu en traversant le Skoro-La, et en évitant les villages
infestés.
Mais il ne faut pas perdre de temps.
Arriverons-nous assez tôt pour trouver le passage libre,
ou serons-nous arrêtés par les quarantaines, exposés à passer
peut-être l’hiver dans ces vallées inhospitalières? Que serait
un hivernage succédant à deux mois de vie sur la glace? On
n’ose y songer.
Nous n’avons, d’autre part, pas assez de personnel pour
transporter tout notre matériel et nos bagages ; jusqu’à ce
qu’une escouade de nouveaux porteurs ait été recrutée dans
les villages indemnes et soit remontée jusqu’à nous, quinze
jours et plus peuvent encore se passer.
Le camp, jusque-là si morne, paraît se réveiller : les
allées et venues d’une tente à l’autre, les appels réciproques,
les consultations avec les indigènes mieux au courant que
nous de ce qui doit se passer à Askoley produisent une agitation
inaccoutumée.
1.1 n’est plus question d’ascension. On ne songe plus qu’à
éviter une catastrophe imminente et chacun, y compris le
chicari, est appelé à donner son avis.
Le plan général suivant est adopté : tout ce qui risque de
nous embarrasser sera abandonné sur place ; un messager
descendra aussi rapidement que possible à Monjong, village
situé en face d’Askoley, de l’autre côté de la rivière, et y recrutera
tous les hommes valides disposés à venir chercher
ce qu’on n’aura pu emporter la première fois ; avec les coolies
dont nous disposons ici et à Rdokass — ces derniers
que Pfannl et Wessely nous renverront — nous transporterons,
en doublant les étapes si nos forces le permettent,
notre matériel de campement.
Le 2 août, pendant une accalmie, mes camarades commencent
à fabriquer un traîneau avec les skys et y entassent
sept charges.
Les Baltis se disputent les innombrables boîtes de conserves
que le triage élimine ; ils les vident séance tenante —
leur contenu étant souillé -7- , mais conservent précieusement
le contenant auquel ils attachent une grande valeur.
Pour moi, je reste couché, atteint d’une attaque d’in-
fluenza plus forte que je n’en ai jamais eu; la fièvre n’est pas
très intense, mais mes amygdales sont si tuméfiées et douloureuses
que j’ai beaucoup de peine à respirer; le moindre
mouvement produit un accès de suffocation ; impossible de
dormir ; des douleurs lancinantes et des frissons me torturent
horriblement. Le 3, ces phénomènes s’accentuent encore
et je me demande comment je vais supporter le voyage.
Le 4 au matin, on plie tentes et valises, et à 41 heures on
abandonne le camp XI, témoin de tant de déceptions.
Nous essayons d’en prendre notre parti, mais c’est plus
fort que nous; nous jetons un dernier regard à cet emplacement
désormais acquis à la science, et nous avons peine à
nous en arracher ; mais la dure nécessité est là, et chacun
dissimule son émotion.