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 de bois  qui  complètent  l’illusion. 
 Le  sapin  envahit  de  plus  en  plus  le  sol,  ses  rangs  se  resserrent  et  la  voie  
 ferrée;  sur toute sa  longueur,  est plantée  d’arbres  des  deux  côtés  des  talus.  Bien  
 que  cette  ligne  soit  sillonnée  en  tous  sens  de  trains  volant  à  toute  vitesse  et  que  
 les  locomotives  fassent  une  consommation  effrayante  d’arbres,  la  vitalité  du  sol  
 et  la  richesse  de  ses  sucs  sont  telles,  que,  en  dépit  des  forêts  entières  abattues  
 récemment,  les  sapins  ont  déjà  repoussé  aussi  drus,  et  non moins  vigoureux  que  
 leurs prédécesseurs.’ 
 En  d’autres  endroits,  le  coup  d’oeil  change  subitement  :  partout  s’étend  une  
 plaine  de  courts  buissons  frisés,  le  paradis  des  lièvres  et  des  tétras ;  et,  près  des  
 stations  de  chemin  de  fer,  comme  des  bûchers,  des  murs  de  bois  blanc,  de  bouleaux, 
   de pins  et de sapins  semblent  les  os  blanchis de  ces  géants forestiers  tombés  
 sous  l’hécatombe. 
 On  comprend  alors  quelles  richesses  inépuisables  recèle  le  sol  du  nord  de  
 la  Russie  et  combien  ces  trésors  sont  importants  pour  son  commerce  avec  
 l’Europe.  On  saisit  également  l’action  civilisatrice  du  chemin  de  fer qui  a frayé  
 une  voie  —   la  seule  possible  —   à  travers  ces  .marécages  et  ces  forêts  interminables. 
 Les  maisons,  d’un  noir  grisâtre,  avec  leurs  hauts  toits  de  bois,  indiquent  
 nettement  que  c’est  un  pays  de  forêts ;>  il-n’y  a  ni  cours,  ni  clôtures,  elles  sont  
 remplacées  par  des  hangars,  des  écuries  en  poutres  et  dont  les  toits  sont  
 aussi  de  bois.  On  voit  des  cabanes  de  poutres  sans  fenêtres,  disséminées  dans  
 les  prairies  pour  rentrer  le  foin  et  qui  rappellent  les  chalets  de  montagne  de  
 la  Suisse. 
 Quand  on  compare  ces  villages  aux  rares  estampes  que  Herberstein,  un  
 voyageur  du  moyen  âge,  nous  a  transmises,  on  est  surpris  de  voir  combien  
 peu  ils  ont  changé.  Les  plus  petites  villes,  sans  compter  Kolomna  et  Tver,  
 respirent  ici  la  vraie Russie.  Partout  l’on découvre  d’anciennes  églises  d’un  vieux  
 style  avec  des  tours  blanches  et  des  croix  d’or,  et  l’on  reconnaît  en  ces  villes  
 d’anciens  centres  de  l’industrie  et  du  commerce russes. 
 Dans  les premières  années  du  siècle  dernier,  Saint-Pétersbourg n’existait  pas. 
 La place où la  grande  ville moderne  étale  aujourd’hui  ses  vastes  rues  aérées  
 et  ses  quais  majestueux  était  jadis  un  désert ;  les  îles,  disséminées,  couvertes  de  
 mousse,  de  buissons  et  d’arbres  éternellement  verts,  présentaient  des  marais  
 infranchissables  et  des  fourrés  regorgeant  de  gibier.  Sur  la  rive  droite  de  la  
 petite Néva,  là  où  s’élève  aujourd’hui  le 'quartier  de  Vyborg,  et  sur  les  rives  
 de  l’Okhta  et  de  la grande Néva,  on  ne voyait  que  de  rares  villages  de  pêcheurs  
 finnois. 
 En dépit de  l’aspect désolé  de ce  pays,  Pierre le Grand jetait  dessus  des  yeux 
 de  convoitise,  comprenant  que  le  seul  moyen  d’entrer  encommunication  avec  
 l ’Europe  était  d’ouvrir  une  porte  sur  la  Baltique.  Quand  il  eut  repris  aux  Suédois  
 Notebourg,  qu’il  baptisa  du  nom  de  Schlüsselbourg  (la  clef  d e là   mer)  en  
 avril  1703,  il  fit  avancer  ses  troupes  le  long  de  la  rive  droite  de  la Néva.  Après  
 avoir  franchi de  grandes  et de petites  forêts,  il découvrit enfin  une petite ville  suédoise  
 ;  c’était  la  forteresse de Nienschantz,  qui  défendait  l’embouchure de la Néva. 
 S a i n t - P é t e r s b o u r g .  —   Fête  populaire  sur  le  Champ  de Mars. 
 Pierre  le Grand  s’empara  facilement  de  cette  forteresse,  qu’il  s’empressa  de  
 raser,  et  se mit  immédiatement  en devoir de poser  les  fondements  de  la  nouvelle  
 ville  qu’il  rêvait;  pour  défendre  l’entrée  de  la Néva  du  côté  de  la  mer,  il  éleva  
 sur  l’île  de  Kotline  le  fort  de  Cronstadt,  désormais  célèbre  dans  l ’histoire de  la  
 France  et de  la Russie. 
 Le  grand  poète  russe  Pouchkine  a  évoqué  dans  des  vers  admirables  le  rêve  
 grandiose  de  Pierre  le Grand,  regardant  l ’Europe  des  bords de  la Néva  : 
 «  Sur  les  rivages  déserts  il  était  debout,  plein  de  pensées  profondes,  et