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 qu’on  distribue quatorze ovtchines  (vêtements de laine) aux  gamins qui  errent  dans  
 la  rue.  Quant  aux  chevaux,  aux  bêtes  de  somme  et  aux  chars,  je  prie  qu’on les  
 vende  et qu’on  en partage  le prix  entre  les  pauvres, pour  la grâce  de  Christ.  » 
 Ce singulier testament  et  le  souvenir des  lugubres  prédications  d’Assaffi  remplirent  
 les  assistants  d’appréhensions.  Le  pope  et  plusieurs  paysans  se  rendirent  
 en  toute  hâte  dans, les champs du  bégoun  auteur  de  ce  testament.  A  une  distance  
 d’environ  trois  kilomètres,  ils  remarquèrent  au-dessus  du  ruisseau,  profond  de  
 trois pieds en cet endroit, une. tente pareille à celles  que  les moujiks  élèvent le jour  
 des Rois  pour  sanctifier  l’eau,  en commémoration du  baptême  de Jésus-Chrîst. 
 La petite  troupe  continua sa  route jusqu’au  chalet où StartzefF passait  le  temps  
 de  la  fenaison,  mais  à  l’emplacement  de  la  cabane,  elle ne  trouva  qu’un  poêle  
 en ruine,  et tout  autour,  des  cendres, des  bûches  à  moitié  consumées  et  des  restes  
 humains  calcinés.  L ’air  était  empesté  d’une  odeur  cadavérique;  au  milieu  des  
 tisons  encore  ardents,  gisaient  épars  des  crânes,  des  côtes,  des  viscères,  des  foies  
 à  demi  brûlés... 
 A   quelques  pas  de  cet  horrible  charnier,  un  petit  sâc  était  suspendu  à  une  
 branche  d’arbre.  Le  pope  l’ouvrit  et  y   trouva  un  cahier  de  vingt  et  une  pages  
 contenant les  doctrines  des  Bégouni. 
 Sur  le premier  feuillet  les  lignes  suivantes  étaient  tracées  au  crayon  :  «  Jean  
 4 e Théologien. Autant il y  a  de barres marquées sur cette page (il y  en  avait quinze),  
 autant  il  y   a  de personnes  brûlées...  Et  le maître  Matveï Oukhinoff  aussi... Nous  
 avons  fui,  car  nous  ne pouvons plus  demeurer  témoins  de  votre  esclavage  sous  le  
 joug de  l’Antéchrist. Mieux vaut périr par le feu...  En route, Assaffi  nous a  baptisés  
 dans  le  Jourdain...  Arrivés  au  chalet  de  Startzeff,  nous  nous  sommes  demandé  
 pardon les uns aux  autres, puis  nous  avons  rempli  le  chalet  de  copeaux enduits  de  
 goudron,  et  après  avoir solidement fermé  la porte, nous y  avons mis le  feu... Nous  
 brûlons...  Il  est  écrit  dans  l’Apocalypse:  Babylone  est  tombée,  la  grande ville  est  
 devenue  la  demeure  du  Diable.  Saint  Hippolyté  a  dit  :  «  L ’imposteur  a  revêtu  
 l ’image  du fils de  Dieu.  »  L ’apôtre  saint  Jean  a  dit  :  «  Le  chrétien  persécuté porte  
 en  soi  le  Christ  et  ceux  qui  le  poursuivent  font  l’oeuvre  de  Satan.  Puisqu’on  les  
 persécute,  les  Bégouni préfèrent  s’incinérer  vivants et  vivre  avec  le  Christ.  » 
 Devant  ce  bûcher  et  ces  débris  humains,  un moujik  se mit  à  sangloter. 
 —   Pourquoi pleures-tu?  lui  demanda-t-on. 
 —   Ma  femme  Marinouchka  est  parmi  les  brûlés.  Elle  a  suivi  ces  saints  
 hommes,  ces martyrs  qui  ont glorifié le  nom du Christ. 
 Aussitôt,  tous  les paysans  tombèrent  à  genoux,  baisèrent  les  restes  calcinés et  
 se  signèrent  dévotement.  Le  chalet  devint  un  lieu  de  pèlerinage;  de  tous  côtés,  
 paysans  et  paysannes accoururent pour  voir  ce nouveau Golgotha. 
 Le  gouvernement,  dans  la  crainte  de  la  contagion,  fit  jeter  les  cendres  des