V
La pêche sous la glace. ^O rg an isa tion de l’artel des pêcheurs. — Les deux atamans. — Le s acheteurs.
Les é c re v is s e s .^ Un gobelet original.
U n des traits caractéristiques de la vie russe est assurément la pêche sous la
glace. Les lacs, les rivières, les ruisseaux et jusqu’aux mers qui baignent la
Russie, étant pendant plus de six mois chaque année couverts d’une épaisse
couche de glace, lès pêcheurs ont dû s’ingénier pour prendre le poisson, très
prospère dans les nappes profondes, maintenues par leur couvercle de glace à
une température élevée. Les conditions exceptionnelles de cette pêche ont fait
naître des coutumes spéciales parmi, les pêcheurs de la Grande-Russie. Le lac
Ilmen, que des canaux ont fait entrer dans le grand système de la Volga, est le
principal centre de cette organisation originale de la pêche.
Un jour, un voyageur russe, M. Yakouchkine, se dirigeait vers Spasso-
Pisskopetz, lorsqu’il rencontra un paysan en traîneau.
— Vous allez peut-être de mon côté, votre noblesse, demanda le moujik ; je
peux vous conduire.
— Je vais à Spasso-Pisskopetz, mon cher, répondit M. Yakouchkine.
—- Assieds-toi près de moi,, dit le paysan, il vaut toujours mieux se faire
traîner que de fatiguer ses jambes.
Le voyageur accepta cette offre; arrivé à Spasso-Pisskopetz, il invita Léonti
Ivanovitch, ainsi s’appelait le moujik, à entrer avec lui dans un traktir pour
prendre du thé; et là, tout en sirotant le breuvage.bouillant, il le questionna sur
ses occupations.
— Mon métier est le meilleur qui existe, les apôtres eux-mêmes n’en ont pas
fait fi ! Dans ce pays nous sommes tous pêcheurs, ou, comme nous disons ici,
des lovt^i (attrapeurs). Notre besogne est facile et gaie, surtout en hiver... vous
pouvez m’en croire. Nous ne sommes pas à plaindre.
rr- Est-ce que la pêche n’est pas la même en hiver qu’en été? demanda
M. Yakouchkine.
— Non, elle est tout autre en hiver, ce sont les vrais pêcheurs qui travaillent.
Nous nous sommes réunis une trentaine d’hommes, chacun muni d’une cinquantaine
de mètres de filets et a v e c un cheval attelé à un traîneau par couple de
pêcheurs. Quand nous/sommes au nombre de trente et un, nous nous consultons
afin d’élire notre ataman; il faut choisir un homme agile, adroit et surtout de bonne
réputation ; les pêcheurs peuvent encore, pour quelques roubles, se procurer les
filets, mais les folles coûtent cher, plus de cent cinquante roubles, et c’est l’ataman
qui lès prend à crédit; voilà pourquoi il est nécessaire qu’il soit Un homme connu.
Quand l’élection est faite, nous allons trouver
notre nouvel ataman dans son isba. Il
fait mine de ne se douter de rien.
— Qu’est-ce qui vous amène ici, frères,
dit.il aigrement, que me voulez-vous,?
Nous nous sommes réunis trente et
un hommes, nous avons des filets, des chevaux,
des traîneaux, veux-tu être notre pre-
mier - ataman? Sans toi nous ne pourrions
pas marcher -avec deux filets.
Selon la coutume, il fait des façons,
il allègue qu’il n’est pas assez habile, qu’un
ataman doit avoir une grande intelligence
et qu’il manque des qualités requises. Mais
ce n’est qu’une manière de parler et il finit
par céder àlH^I instances, alors il s’empresse
de demander :
— Eh bien, pêcheurs, qui nommerons-
nous -second ataman ?
Nous procédons à une nouvelle élec-
tion; le second ataman fait aussi des façons,
se laisse prier, mais moins longtemps que
le premier; e.nsuite^,nous nommons encore
deux reltchiks', un par ataman; sans son reltchik un ataman mourrait de^iï,.-:
car il'n ’aurait jamais l’occasiîjn de< |oire une goutte d’eau-de-vie. Il nous reste à
désigner quatre pekhars*, un par ataman et par reltchik, quatre vorotiltchikss et
tous les autres sont de simples pêcheurs.
Les élections finies, nous allumons un cierge et nous demandons la bénédiction
de Dieu sur. notre association, nous baisons tous l’icône et, après cette
cérémonie solennelle, personne n’a plus le droit de se retirer de la compagnie pour
aller travailler ailleurs.
1. Pêcheur chargé de pousser les filets sous la glace au moyen de longs bâtons, appelés rels.
2. Pêcheur à qui incombe le sbin. de pratiquer des trous dans la glace.
Vv 3. Pêcheurs qui retirent les; filets.
Chanteur aveuglé en route.