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 La pêche  sous la  glace.  ^O rg an isa tion   de  l’artel  des  pêcheurs.  —   Les  deux  atamans.  —  Le s  acheteurs. 
 Les  é c re v is s e s .^   Un  gobelet  original. 
 U n   des  traits  caractéristiques  de  la  vie  russe  est  assurément  la  pêche  sous  la  
 glace.  Les  lacs,  les  rivières,  les  ruisseaux  et  jusqu’aux  mers  qui  baignent  la  
 Russie,  étant  pendant  plus  de  six  mois  chaque  année  couverts  d’une  épaisse  
 couche  de  glace,  lès  pêcheurs  ont  dû  s’ingénier  pour  prendre  le  poisson,  très  
 prospère  dans  les  nappes  profondes,  maintenues  par  leur  couvercle  de  glace  à  
 une  température  élevée.  Les  conditions  exceptionnelles  de  cette  pêche  ont  fait  
 naître  des  coutumes  spéciales  parmi,  les  pêcheurs  de  la  Grande-Russie.  Le  lac  
 Ilmen,  que  des  canaux  ont  fait  entrer  dans  le  grand  système  de  la  Volga,  est  le  
 principal  centre  de  cette  organisation  originale  de  la  pêche. 
 Un  jour,  un  voyageur  russe,  M.  Yakouchkine,  se  dirigeait  vers  Spasso-  
 Pisskopetz,  lorsqu’il  rencontra  un  paysan  en  traîneau. 
 —   Vous  allez  peut-être de  mon  côté,  votre  noblesse,  demanda le moujik ;  je  
 peux vous  conduire. 
 —   Je vais  à  Spasso-Pisskopetz,  mon  cher,  répondit M. Yakouchkine. 
 —-   Assieds-toi  près  de  moi,,  dit  le  paysan,  il  vaut  toujours  mieux  se  faire  
 traîner que  de fatiguer ses jambes. 
 Le  voyageur  accepta  cette  offre;  arrivé  à  Spasso-Pisskopetz,  il  invita  Léonti  
 Ivanovitch,  ainsi  s’appelait  le  moujik,  à  entrer  avec  lui  dans  un  traktir  pour  
 prendre  du  thé;  et  là,  tout  en  sirotant  le  breuvage.bouillant,  il  le  questionna  sur  
 ses occupations. 
 —  Mon métier  est  le meilleur  qui  existe,  les  apôtres  eux-mêmes  n’en ont pas  
 fait  fi !  Dans  ce  pays  nous  sommes  tous  pêcheurs,  ou,  comme  nous  disons  ici,  
 des  lovt^i  (attrapeurs).  Notre  besogne  est  facile  et  gaie,  surtout  en  hiver...  vous  
 pouvez  m’en  croire. Nous ne  sommes  pas  à plaindre. 
 rr-  Est-ce  que  la  pêche  n’est  pas  la  même  en  hiver  qu’en  été?  demanda  
 M.  Yakouchkine. 
 —  Non,  elle  est tout  autre  en  hiver,  ce  sont  les  vrais pêcheurs qui travaillent.  
 Nous  nous  sommes  réunis  une  trentaine  d’hommes,  chacun  muni  d’une  cinquantaine  
 de  mètres  de  filets  et  a v e c  un  cheval  attelé  à  un  traîneau  par  couple  de  
 pêcheurs.  Quand nous/sommes  au nombre  de  trente  et  un,  nous  nous  consultons  
 afin  d’élire notre  ataman;  il faut choisir un homme agile, adroit et surtout  de bonne  
 réputation ;  les  pêcheurs  peuvent  encore,  pour  quelques  roubles,  se  procurer  les  
 filets, mais  les  folles  coûtent  cher, plus de cent  cinquante  roubles,  et c’est  l’ataman  
 qui lès  prend à  crédit;  voilà  pourquoi  il  est  nécessaire  qu’il soit Un homme  connu.  
 Quand  l’élection  est  faite, nous  allons  trouver  
 notre  nouvel  ataman  dans  son  isba.  Il  
 fait mine  de  ne  se  douter  de  rien. 
 —  Qu’est-ce qui vous  amène ici,  frères,  
 dit.il  aigrement,  que me  voulez-vous,? 
 Nous  nous  sommes  réunis  trente  et  
 un  hommes,  nous  avons des  filets,  des  chevaux, 
  des  traîneaux, veux-tu  être  notre pre-  
 mier - ataman?  Sans  toi  nous  ne  pourrions  
 pas  marcher  -avec  deux  filets. 
 Selon  la  coutume,  il  fait  des  façons,  
 il  allègue  qu’il  n’est  pas  assez  habile, qu’un  
 ataman  doit  avoir  une  grande  intelligence  
 et  qu’il  manque  des  qualités requises.  Mais  
 ce  n’est  qu’une manière  de parler  et  il  finit  
 par  céder  àlH^I  instances,  alors  il  s’empresse  
 de  demander  : 
 —   Eh  bien,  pêcheurs,  qui  nommerons-  
 nous -second  ataman ? 
 Nous  procédons  à  une  nouvelle  élec-  
 tion;  le second  ataman  fait aussi des  façons,  
 se  laisse  prier,  mais  moins  longtemps  que  
 le  premier;  e.nsuite^,nous  nommons  encore  
 deux  reltchiks',  un  par  ataman;  sans  son  reltchik  un  ataman  mourrait  de^iï,.-:  
 car  il'n ’aurait  jamais  l’occasiîjn  de< |oire  une  goutte  d’eau-de-vie.  Il nous  reste  à  
 désigner  quatre  pekhars*,  un  par  ataman  et  par  reltchik,  quatre  vorotiltchikss  et  
 tous les  autres  sont  de  simples  pêcheurs. 
 Les  élections  finies,  nous  allumons  un  cierge  et  nous  demandons  la  bénédiction  
 de  Dieu  sur. notre  association,  nous  baisons  tous  l’icône  et,  après  cette  
 cérémonie solennelle, personne n’a plus le  droit de  se retirer  de  la  compagnie  pour  
 aller  travailler ailleurs. 
 1.  Pêcheur  chargé  de pousser  les filets  sous  la glace  au moyen  de  longs  bâtons, appelés rels. 
 2.  Pêcheur  à qui  incombe  le  sbin. de  pratiquer  des  trous  dans  la  glace. 
 Vv  3.  Pêcheurs  qui  retirent  les;  filets. 
 Chanteur  aveuglé  en  route.