
 
        
         
		Il  est  vrai  que  la  setch  comptait  également  parmi  ses  membres  un  grand  
 nombre  d’officiers  qui  s’étaient  distingués  dans  les  armées  du  roi  de  Pologne,  et  
 pas mal  de  ses  partisans  qui pensaient qu’un  noble  est né pour  se  battre  et  que  la  
 guerre  est la  seule  occupation  qui  lui  convienne. 
 Il  serait  difficile  de  dire  quelle  catégorie  de  gens  n’était  pas  représentée  dans  
 la  setch.  Elle  réunissait  fraternellement  les  hommes épris  de  la  vie  guerrière  et les  
 amateurs  de  coupes  d’or,  de  riches étoffes,  de  ducats  et dé  sequins,  qui,  eux  aussi,  
 y   trouvaient  leur  compte.  Il  n’y  avait  que  les  amoureux  à  qui  la  setch  n’avait  rien  
 à  offrir,  car  aucune  femme  n’était  admise  dans  la  communauté  et  n’avait  même  
 le  droit  de  se montrer  dans  le  faubourg. 
 Tout  le monde  revenait  à  la  setch  comme  s’il  rentrait  dans  sa propre  maison  
 après  l’avoir  abandonnée  quelques  jours. 
 En  arrivant,  le  nouveau  venu  se  contentait  de  saluer  le  kochevoï  (un  des  
 chefs  élus),  qui  lui  disait : 
 —   Bonjour,  crois-tu  en Jésus-Christ? 
 Je  crois  en  Jésus-Christ,  répondait  le nouveau  Zaporogue. 
 : |—   Crois-tu  aussi  à  la  sainte  Trinité 
 —   Je  crois aussi  à  la  sainte Trinité. 
 —   Et  tu  crois  à  l’Église ? 
 Je  crois  à  l ’Église. 
 — .Fais  le  signe  de  la  croix. » 
 Le Zaporogue  se  signait. 
 — Bien,  maintenant  tu  peux  choisir  le  kourègne  qui  te plaira  le mieux. 
 La   setch  se  composait  de  soixante  kourègnes, qui  ressemblaient  à  de petites  
 républiques  indépendantes,  ou mieux  encore  à  des  internats.  C ’étaient  autant  de  
 communautés.  Personne ne  pourvoyait  indi viduellement  à  sa  propre  existence ;  le  
 bien  de  chacun  était  confié  à  la  surveillance  de  l ’ataman,  qu’on  appelait  batka  
 (père).  L  argent,  les  habits,  les  vivres, le  gruau,  les  combustibles  étaient  confiés  à  
 sa  garde. 
 Il  éclatait  parfois  entre  les  différents  kourègnes  des  querelles  qui  dégénéraient  
 immédiatement  en  batailles.  Les  champions  sortaient  aussitôt  dans  les  
 champs  et  se  battaient  à  coups  de poing,  jusqu’à  ce  qu’un  des  deux  fût  vainqueur. 
   Aussitôt  le  combat  terminé,  les  adversaires  recommençaient  leurs  agapes  
 fraternelles. 
 Le  code  des  Cosaques  ne  badinait  pas.  Si  l’un  des  habitants  de  la  setch  se  
 laissait  aller  à  voler, fut-ce une bagatelle,  la honte  en  rejaillissait  sur toute  la  communauté, 
   et  le  châtiment  était  exemplaire.  Le  délinquant  était  attaché  au  poteau  
 d’infamie,  auprès  duquel  on  posait  un  gourdin  pour  que  chaque passant  pût  lui  
 donner un  coup,  jusqu’à  ce  que  le  voleur  succombât. 
 Le  débiteur  malheureux  était  à  peine  mieux  partagé  ;  on  l’enchaînait  à  un 
 canon,  et  il  restait  dans  cette  position  jusqu’à  ce  qu’un  ami  charitable  eût  payé  
 ses  dettes. 
 L’assassin  était  plongé  vivant  dans  la  tombe  avec  le  cercueil  de  sa  victime  
 posé  sur  sa  tête,  tandis  qu’on  le  couvrait  de  terre pelletée,  par pelletée,  jusqu’à  ce  
 que  la  fosse  fût  comblée. 
 Cependant,  rien  dans  l’apparence du  Cosaque ne  semble  dénoncer  la  barbarie  
 ni  la  cruauté.  Voici  dans  quels  termes  un  voyageur  anglais,  qui  se  rendit  à  Ka-  
 sankaa  vers  la fin  du  siècle  dernier,  rend l’impression  que  cette  horde  belliqueuse  
 produisit  sur  lui  : 
 «  Il  y  a quelque  chose de vraiment martial et même d’imposant dans le premier  
 abord  d’un Cosaque  :  son  regard majestueux  et  grave,  son  front  élevé,  ses moustaches  
 noires,  son  grand  casque de  laine noire que  termine un  sac  cramoisi,  orné  
 de  festons  et  d’une  cocarde  blanche;  sa  stature  élevée, l ’aisance  et  la  grâce  de  sa  
 démarche  lui  donnent  un  air  très  imposant. 
 «  Les Cosaques  sont vêtùs d’une jaquette bleue  brodée  d’or  et doublée  de soie,  
 attachée  sur  la  poitrine  par  des  agrafes.  Ils  portent  sous  ce  premier  habillement  
 une veste  dont  le  bas  est  caché  par  la ceinture. Des  pantalons  larges  et  très  longs,  
 de  même  étoffe  que  la  jaquette  ou  quelquefois  de  basin  blanc,  mais  toujours  
 d’une  extrême  propreté,  sont  attachés  au-dessus^ de  la  veste  et  couvrent  les  
 bottes.  Les  Cosaques  n’ont pas  de  sabre,  si  ce  n’est  à  cheval,  en  voyage  ou  à  la  
 guerre;  ils  le  remplacent  par  une  houssine  ou  une  canne  à  pomme  d’ivoire;  
 chaque  Cosaque  porte  cette  canne  à  la  main,  étant  toujours  prêt  à  monter  à  
 cheval  en un moment. 
 Le  turban  ou  le  bonnet  est  la  partie  la  plus  agréable  du  costume  cosaque,  il  
 sied  à  toute  espèce  de physionomie  et  donne  infiniment  de  grâce  à  la  démarche;  
 cëtte  coiffure  accompagne  très  bien  les  moustaches  et  donne  un  air militaire  à  la  
 figure  la  plus  insignifiante. 
 «  Les  Cosaques portent  les cheveux  courts, mais ils  les  laissent  croître  davantage  
 sur le front;  ils  les  ont noirs,  épais  et  droits.  En  général,  le  bonnet  des  Cosaques  
 est presque toujours  recouvert d’une laine noire,  douce et brillante. Quelques-  
 uns  portent  à  leurs  habits des  signes de  distinctions  civiles  et militaires;  en temps  
 de paix, un  long frac sans boutons remplace la jaquette.  La ceinture est quelquefois  
 jaune  ou verte,  mais  le  plus  souvent noire. 
 «  Les  Cosaques  ainsi  que  les  autres  peuples  de  l’Europe  connaissent  l’usage  
 des  gants  à parements  de  buffle.  Aucune  nation  au  monde  n’a plus  de  recherche  
 dans ses habillements;  cette coquetterie, se retrouve  dans l’ajustement  des vieillards  
 comme  dans  celui  des jeunes:  gens.  Une  vie  paisible  semble  incompatible  avec  
 le  caractère  des  Cosaques ;  ils  errent  négligemment  çà  et  là,  sans  aucune  occupation  
 qui  les  fixe. 
 Passionnés  pour  la  guerre,  on  dirait  que  le  repos  est  une  fatigue  pour  ces