plaintes de la fiancée qui envisage avec terreur le moment où, séparée de ses parents
aimés, elle sera livrée à un étranger, ainsi qu’une captive à l’ennemi.
Q u i natam possis complexu avellere matris,
Complexu matris retinentem avellere natam,
E t ju ven i ardenti castam d on ar epuellam ?
Qu id fa c ia n t hostes capta crudelius u rb e ?
Voilà pourquoi chez les Grands-Russiens, dès le jour des fiançailles, les amies
de la jeune fille, innuptoe virginis, se réunissent chaque soir chez elle et semblent
vouloir la défendre contre le ravisseur. Elles cousent ensemble le trousseau, tout
en chantant des complaintes que la fiancée accompagne de larmes silencieuses ou
de sanglots bruyants ; ses compagnes s’efforcent de la calmer et, comme dans les
vers de Catulle, elles répètent : Flere desine.
La fiancée commence ordinairement par se plaindre de ses parents :
« Oh! mon cher père, tu t’es laissé séduire par le vin, par les douces paroles,,
par les honneurs ! Oh! chère mère, tu t’es laissée séduire par le petit verre, par les
douces paroles, par les honneurs! »
Les amies la consolent ou se lamentent à l ’unisson, lui présentant de sombres*
tableaux de la vie conjugale, le mari ivrogne, le fouet à la main, le méchant beau-
père, la belle-mère, mauvaise comme un serpent, les belles-soeurs aux caprices
sans fin.
C’est le même acte du drame conjugal qui, chez Rossbach, se passe dans la
maison de la fiancée et que Catulie évoque dans les vers , 31-75 de son chant LXI.
Et le second chant nuptial de Catulle présente aussi beaucoup d’analpgies.
Comme alors, les amies que le poète latin appelle integroe virgines se réunissent
une dernière fois chez la fiancée pour la remettre au novus maritüs.
Le jour du mariage, dans le gouvernement de Tambov, la fiancée se lève la
première et va réveiller ses amies, en leur chantant : « Levez-vous, mes compagnes ;
levez-vous, mes chéries; l’aurore paraît, mes ennemis approchent. »
A Rybinsk, les jeunes filles ont la coutume de pleurer « leur beauté virginale »
qui est représentée par un petit sapin, orné, comme un arbre de Noël, de rubans et
de fleurs de palmier et de quelques bouts de chandelle. La fiancée place ce sapin
sur la tablé et commence à pleurer en disant :
« Il ne me reste plus longtemps à rester belle, à vivre parmi les jeunes filles; je
veux t’emporter, ma beauté virginale, dans la forêt sombre et t’accrocher à un bouleau
blanc, à un blanc bouleau. Au printemps, mes amies viendront couper le bouleau
et feront tomber ma beauté virginale sur l’herbe soyeuse ; puis mon père et
mes frères viendront faner l’herbe et couperont ma beauté virginale. »
Dans plusieurs gouvernements, l ’habitude d’empêcher l’entrée de la maison
au fiancé s’est conservée, et il est obligé pour en franchir L seuil de payer un péage
aux villageois.
En conduisant la .fiancée à l’église, il est d’usage de là charger d objets qui
doivent présager la prospérité dé sa nouvelle vie. Dans certains endroits, on lui
place dans le corsage une miche de pain, pour qu’elle n’en manque jamais; dans
d’autres, on lui met de la laine dans sa robe, pour que les brebis se multiplient,
ou du chanvre, pour que le lin abonde.
Dans le cortège nuptial, se rendant à l’église, le fiancé précède la fiancée, et
tous les deux saluent tous les passants, ce qui les préservera du mauvais oeil.
A peine parti de la maison, le
fiancé s’arrête, laisse passer l’épouse et
lui donne trois petits coups de fouet sur
l’épaule en disant : — Renonce à la volonté
de ton père, déshabitue-toi de la
tendresse de ta mère, oublie ta beauté
virginale, sache te- soumettre aux exi-
gences.de ton époux.
A l’église, il y a compétition entre
les mariés à qui posera d’abord le pied
sur le tapis de soie étendu devant l’autel,
le premier arrivé dominera son conjoint.
On observe aussi lequel des deux cierges
brûle le plus vite pendant la cérémonie,
pour en augurer lequel des époux
survivra à l’autre.
Après la bénédiction nuptiale) et
Le départ de la mariée.
quelquefois même encore à l’église, on
coiffe l’épouse à la manière des femmes mariées. On relève ses cheveux en deux
nattes et l’on pose dessus le povolnik.
L ’entrée de la maison qu’habiteront les nouveaux mariés est couverte de draps
blancs, emblème d’une vie unie et calme. Quelquefois on pose sur le seuil un
cadenas fermé, pour que l’union des époux soit formée d’un lien si étroit, qu’il soit
impossible de le rompre. Une parente du marié sort alors de la maison vêtue d’une
pelisse retournée avec la fourrure en dehors ; elle cache son visage et brandit un
tisonnier en adressant à la mariée des menaces incompréhensibles et redoutables.
C ’est la personnification de la terrible belle-mère.
Le repas de noces est abondant ; souvent on y convie le sorcier, qui devient
l’hôte le plus choyé et qui est chargé de conjurer les mauvais sorts. Les mariés
ne participent pas au repas, mais chaque fois qu’on boit à leur santé, ils doivent
s’embrasser.