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 aux  râles  des moribonds,  aux  sanglots  sur  les tombes,  aux  .larmes  des  orphelins.  
 Maintenant demandez-vous  si le pope possède  là  tranquillité. 
 Les moujiks  n’eurent  pas  besoin  de  réfléchir longtemps,  et,  saluant  le  pope, ils  
 reprirent  :  —   Qu’as-tu encore  à nous  dire '? 
 —   A   présent,  mes  frères,  quels  sont  les  honneurs  que  reçoit  le  pope..  La '  
 question  est  délicate  et  je  crains  de  vous  froisser.  Dites-moi,'  orthodoxes';,  qui  
 avez-vous surnommé  la  race  d'étalons ? Répondez  à ma  question ?  ' 
 Les moujiks  embarrassés  gardèrent le  silence, le pope  se  tut  aussi. 
 -  «  Qui avez-vous peur  de  rencontrer  sur  votre  chemin ?  Sur  le  compte'de qui  
 débitez-vous  des  récits  grivois,  des  chansons  obscènes  et  toutes  sortes  d’accusâ-  :  
 lions ?  Que  ne  dites-vous pas  de l’honnête  femme  du pope,  de sa  fille innocente  et  
 des séminaristes?  Qui  poursuivez-vous  de  huées  :  ho!  ho  !  ho  ! 
 Ce n est  pas notre faute,  ca  date  de  loin,  répondirent  les  moujiks  pour  se 
 justifier. 
 —   Amen !  dit le pope,  ce  n’est pas  pour  vous  blâmer,:  mais  puisque  vous.me.  
 l’avez demandé,  je vous  dis  la  vérité ;  voilà les  honneurs; que  les  moujiks  rendent  
 au  pope.  Et les  seigneurs ! 
 —   Passons  sur  lès  seigneurs,  nous  savons  ce  qu’ils  valent,  s’écrièrent  les  
 moujiks, 
 —   Examinons,  mes  frères,  en  quoi  consiste la  richesse du  pope !  Il  n'y  a pas',  
 longtemps,  tout  l’empire  était  plein  de  maisons  seigneuriales.  Là, les  seigneurs  *  
 se  multipliaient  et  nous  faisaient  v iv re ;  ce  qu’on  y   célébrait  de  mariages,  çe-  
 qu il  y  naissait  d’enfants !  Bien  que durs parfois  de  caractère,  ces-seigneurs  étaient  
 larges;  nous  les mariions,  nous  baptisions  leurs  enfants,  nous  les  confessions  et  
 nous  les enterrions.  Si  quelques  seigneurs  habitaient  là  ville,  ilsi revenaient  dans  
 leurs  villages  pour  mourir.  Aujourd’hui  les  seigneurs  ont  disparu.  .11  n’y   a  plus  
 personne .pour  faire  cadeau  au  pope  d’une  soutanelle,  personne: pour  lui  broder,  
 la pale du  calice.  Il  faut  vivre  de  ce  que  donne  le moujik,  ramasser  ses: copecks,  
 ses pirogui (petits pâtés  à la viande)  les jours  de fête,  et les oeufs,  le jour de  P 
 Le  moujik  lui-même  est  dans  le  besoin,  il  voudrait  donner;  mais  il  n’a  pas.  
 Enfin,  il  y   a  des  popes; qui  n’aiment  pas  à  prendre  le  copeclc  du  moujik.  Nos  
 villages sont pauvres, les paysans  sont malades, les femmes sont nourrices,'esclaves  
 toutes  pieuses  et  laborieuses.  Que  Dieu  leur  soit  en  aide!  Des  mains  de  pareils  
 travailleurs  il  est  dur  de recevoir  àe l’argent.  Quel  terrible tableau  que  celui  de  la  
 famille  du moujik  lorsqu’elle  va  perdre  son  chef!  J’assiste  le  moribond,  jè  m’efforce  
 de  soutenir son  âme,  et  voilà qu’une  vieille,  la  mère'du malade,  me  tend  sa  
 main, sèche  et  calleuse.  Mon  coeur  se serre  quand  dans  cette main  j’entends sonner  
 les  deux monnaies  de  cuivre.  Sans  doute  c’ést honnête, C’est  une  récompense  pour  
 mes.  services.'  Si  je  ne  l’acceptais  pas,  de  quoi  vivrais-je?  mais  les  paroles'de 
 CHANTER  AUX  ENFANTS  D’ UN  VILLAGE.