Pour les paysans, le seul moyen d’échapper au servage était la fuite ; les uns,
pleins de vie et conscients de leur force, allaient dans le steppe rejoindre les
Cosaques, qui étaient pour la plupart des Raskolniki; les autres, affaiblis et dégénérés,
erraient dans les forêts, toujours vagabondant, dans le délire de l’extase ou
l’exaltation du rêve, décidaient d’en finir avec la vie, s’enterrant tout vifs ou
montant spontanément sur le bûcher qu’ils avaient de leurs mains préparé et
allumé. 11 est à remarquer que, dans tous les soulèvements populaires en Russie,
les Raskolniki ont chaque fois joué le rôle principal. Le Cosaque' Razine,
qui menaça le pouvoir du second Romanoff, était un Raskolnik; les Strëlitz,
qui s’opposèrent aux réformes de Pierre le Grand, encore des Raskolniki;
Pougatcheff, qui mit en péril l’empire de Catherine II, toujours, un Raskolnik.
C’est donc à tort qu’on chercherait dans ce mouvement autre chose que des
idées d’ordre économique, ce n’est qu’incidemment qu’il s’est parfois compliqué
de questions religieuses, et tout porte à croire que le dissidentisme ne se serait
pas produit en Russie sans l’iniquité du servage, brusquement imposé par Boris-
Godounoff à des hommes libres. Ce fait explique l ’attitude hostile des Raskolniki
à l ’égard de toutes les institutions qui servaient à maintenir ce nouveau régime.
Une dé leurs sectes, les Bégouni, déclare que le premier devoir d’un Russe est
de supprimer le passeport et tous les papiers servant à . constater l’identité ; le
second devoir du sage est d’abandonner ses parents,, sa famille, de rechercher
les endroits déserts et les pays où il est inconnu et de vivre toujours dans la
crainte d’être poursuivi et de recevoir le châtiment, « car tout pouvoir terrestre
appartient à l’Antéchrist et celui qui le reconnaît se met au service de l’Antéchrist
».
Certains enseignements des Bégouni, en particulier ceux que nous trouvons
dans les écrits de Nikita Sémionoff, présentent une grande analogie avec la doctrine
anarchiste; seulement l’ennemi pour le sectaire russe n’est pas le bourgeois,
mais l’Antéchrist.
« Vous né devez pas reconnaître les droits civils, recommande-t-il à 's è s ;
adeptes, vous ne devez pas célébrer lés fêtes du tsar; vous ne devez jamais prier
pour lui, ni permettre à vos fils de faire le service militaire, ni de, se souiller par
le mariage. »
Je trouve cette déclaration typique d’un bégoun Sémionoff dans un recueil de
documents sur le Raskol, publié par le gouvernement russe, tiré à nombre très
restreint, et dont j’ai la chance de posséder un exemplaire.
«. On ne peut connaître la vérité qu’en fuyant les autorités, et en. vivant isolé
dans le désert. Le règne de l’Antéchrist,estvenu, et le représentant de ce règne est
votre empereur, descendant de Pierre le Grand, qui fit recenser le peuple, l ’a
compté et fait inscrire... Je ne reconnais pas le Code, parce que le tsar n’est pas
chrétien, il n’a pas la vraie religion. Faites de moi tout ce que vous voudrez.
UN PRO TODIACRE