son oreille dressée à de la saine musique, le soldat se. laissera moins facilement
séduire par les chansons grivoises et les refrains de la rue.
Bien que la période des manoeuvres .soit comme une réduction de l’état de
guerre, l’été passe vite et vers l’automne les soldats rentrent dans les casernes où
commence le dressage des recrues.
En premier lieu, on leur apprend à nommer leurs chefs par leurs titres et à
se tenir droit, à manier le fusil et à faire les exercices élémentaires.
Après, on les initie graduellement au tir.
— T u n’es pas un soldat, crie à la recrue le feldfebel ou meniiï, si tu né possèdes
pas ton fusil. N ’aie pas peur, n’aie pas peur, tu ne sauteras pas... Eh ! de quelle
manière tu le lèves! on dirait d’une bûche... Il faut le manier comme si c’était un
jouet. Non, tu es un propre à rien.
C’est bien autre chose lorsqu’il s’agit d’apprendre au soldat à viser, car les
explications confuses du feldfebel ne font que l'embrouiller.
— Regarde, viens, explique le menin, tu vois une ligne... de ton oeil en suivant
la rainure, sur la mouche et l’objectif... Si tu regardes par la première le second,
alors tu seras dans le but... As-tu compris?
— J’ai compris, Effrem Vàssilitch.
La recrue épaule le fusil et ferme les deux yeux.
— Tête d’imbécile ! crie le menin. Ferme l'oeil gauche et ouvre l’oeil droit.
Mais l’élève ne peut ouvrir que l’oeil gauche, tandis que le droit s’obstine à
rester fermé.
Le menin alors prend un morceau de papier, crache dessus et bouche ainsi
l’oeil récalcitrant. L ’affaire marche un peu mieux et la leçon continue. On habitue
la recrue au bruit de la fusillade, d’abord par des charges à blanc et ensuite avec
des balles. La recrue a peur, ses mains tremblent, et les anciens camarades se
moquent d’elle, lorsque la balle soulève la terre au pied de la cible :
— Il a volé des poules au village, et voilà pourquoi ses mains tremblent! -
La cavalerie est recrutée parmi les hommes les plus adroits et les plus intelligents.
Là encore ce n’est pas une petite affaire de dégrossir le moujik qui n’a
jamais monté que des chevaux de labour et encore à poil.
— Eh ! qu’as-tu à remuer tes bras comme un diable ses ailes ! crie au nouveau
cavalier le vakhmister (maréchal des logis), tiens-toi droit! les talons au cheval...
tenez la distance,... au trot, une, deux... une, deux, et surtout ne seme{ pas des
radis, c’est-à-dire ne tombez pas de cheval. Je vais te faire monter Gradoboï et
tu apprendras à te tenir en selle.
Dans chaque escadron, il y a un Gradoboï, sorte de croque-mitaine des
recrues, qui sert à les effrayer. C’est un cheval ou très rétif ou très fougueux ;
quand on le monte, on est obligé de devenir perspicace et de n’avoir plus peur.
La nouvelle loi militaire, élaborée par le général Milioutine en 1874, déclare
le service militaire obligatoire pour tous les sujets du tsar; mais la durée de ce
service varie suivant le degré d’instruction du conscrit. Elle est de sept ans pour
celui qui n’a ’ jamais passé par l’école, de' quatre ans pour celui qui a un certifie^
d’école primaire, de dix-huit mois pour celui qui a traversé le gymnase,
Photag. do Jongh frères.
Régiment de Préobrajenski. - Soldat en tenue de campagne.
et seulement de six mois pour celui qui a terminé ses études universitaires.
Il résulte de ces dispositions que le gros contingent de l’armée moscovite est
fourni par la classe des paysans, car les jeunes gens des classes aisées, s’ils n’ont
pas encore t e rm in e u r s études universitaires, ont au moins fini le gymnase et
n’oiit que dix-huit mois à passer sous les drapeaux.
Sans doute ils’ sont tous inscrits dans la réserve jusqu’à l ’âge de quarante