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 de  bière  et  d’eau-de-vie  :  « Une  gorgée  seulement pour  rincer  là  bouche.  »  Ensuite  
 ils nettoient  consciencieusement  les  plats  jusqu’à  ce  qti’ils soient  «  plus  nets  que  la  
 main  ».  Ils  vont  ensuite  en  bandes  d’isba  en  isba  et  recommencent  ces  exercices  
 gastronomiques,  si  bien  qu’à  la  fin  de  la  journée,  copieusement  abreuvés,  ils  ne  
 tiennent  plus  sur  leurs  jambes.  Le mardi,  les  libations  reprennent, mais  déjà  avec  
 moins d’entrain  et  de  satisfaction ;  même  on  voit poindre  la  satiété  et  le  dégoût,  et  
 le  soir,  on  prend  définitivement  congé  du*carnaval. 
 Les  jeunes  gens  disent plus  tôt  adieu  aux  fêtes du  carnaval  que  les vieux.  Dès.  
 le  dimanche  soir,  ils  se  réunissent  en  foule,  chacun  portant  une  gerbe  de  paille  
 enduite  de  goudron,  qu’ils  attachent  à  des  perches  fichées  en  terre  sur  la  grande  
 route,  à une  certaine  distance  du  village.  Ils  les  allument,  et  ce  sont  leurs  feux  
 d’artifice,  devant lesquels  ils  s’extasient  avec  plus  de  candeur  et  non moins  d’enthousiasme  
 que  les  Parisiens  devant  les  fusées,  les  chandelles  romaines,  les  soleils  
 et  les  boules, lumineuses  de Ruggieri. 
 L ’accompagnement obligatoire  de  toute  fête  russe  villageoise  est  le  khorovod,  
 choeur  formé  par  les  plus  belles  filles  et  les  plus  beaux  gars  du  village.  Les  
 costumes  des  jeunes  filles  frappent  par  la  diversité  des  couleurs,  tout  l’arc-  
 en-ciel  y   passe,  bien  que  le  rouge  domine.  Les  garçons,  dont  la  tenue  est  
 plus  sobre,  portent  une  blouse  rouge,  des  pantalons  bouffants  de  peluche  noire,  
 un  justaucorps  de  drap  bleu  et  un  chapeau  de  gros  feutre noir  orné d’une  plume  
 de  paon  plantée  au  milieu.  Le  khorovod  forme  un  cercle,  les  jeunes  filles  au;  
 milieu,  les  jeunes  gens  autour,  et  ils  chantent  en  choeur  jusqu’au  soir  sans  s’arrêter. 
 Les  Slaves,  d’ailleurs,  se  distinguent  de  tous  les  peuples  par  leur  amour  de  
 la  chanson.  Déjà  au  vie  siècle,  les  Byzantins  les  appelaient  des  amateurs  de  chansons. 
  Les voyageurs slaves  se munissaient toujours  de  guzlis  (instrument à cordes)  
 au  lieu  d’armes.  Encore maintenant,  le  paysan  russe  chante  le  soleil  au  jour  dé  
 la  Saint-Pierre,  glorifie par des  chants  la première  pluie  printanière  et  la  divinité  
 du  printemps.  Un  grand  nombre  de  ces  chansons  portent  encore  l’empreinte  
 mythique  et  sont  pleines  de  réminiscences  des  anciennes  cérémonies  et  des  sacrifices  
 païens. Sous ce  rapport,  rien de plus curieux  que les chansons appelées Avsen,  
 que  les  moujiks  disent  la  veille  du  nouvel  an.  Dès  que  les  étoiles piquent  le  ciel  
 de  points  lumineux, les  jeunes  filles  chantent  sous  les  fenêtres  : 
 «  O  Avsen!  ô  Avsen!  dans  la  forêt  était  un  sapin  vert  et  frisé,  ô  Avsen;!  
 ô Avsen ! • 
 «  Des  boyards  passèrent.  Ils  coupèrent  le  sapin,  ils  en  firent  des  planches,  ils  
 élevèrent'un pont qu’ils  couvrirent  de tapis. O Avsen!  ô Avsen! 
 '  oe  Qui passera  sur  ce pont?  C’est Avsen, qui  viendra pour le nouvel  an.  » 
 Les  folkloristes  n’ont  pas  encore  pénétré' la  signification  de  ce  nom  d’Avsen,