au château, et là, dans la cave, près des fûts défoncés, j’ai vu les enfants égorgés
comme des petits poulets... leurs menottes courbées, leurs jambes toutes raides...
Non, non, i ln ’y a p a s de pardon pour un brigand c o m m e m o i . . . Alors je me suis
dit que je ne devais pas laisser ces petits anges sans ¡sépulture... la nuit, je: suis allé.
au bord de la Volga, j’ai creusé une fosse, j ’y ai transporté les deux enfant?-
et je les ai enterrés. J’ai voulu faire sur eux le signe de la croix, mais je n’ai pas
pu... ma main ne m’obéissait plus.
Un silence sépulcral régna dans la chambre, interrompu seulement par les
sanglots de la mère, qui apprenait le martyre de ses enfants, et par les soupirs du .
vieillard qui baissait la tête et n ’osait plus regarder la vieille dame.
— T u vas me montrer la tombe de mes enfants, dit la châtelaine... AUon?,ÿ
vite, vite...
Antone conduisit son ancienne maîtresse hors du village... ils errèrent longtemps
sur les rives du fleuve, lorsqu’enfin le vieillard s’arrêta, mesura vingt pas.
à partir du bord de l’eau et dit :
;'f — C’est ici.-...
La vieille dame fit élever une chapelle sur la tombe des deux petits martyrs,
et tous les matins elle y vint pour prier et pleurer. Antone ne quittait plus la chapelle,
c’est là qu’on lui portait à manger. Chaque fois, qu’il voyait entrer la châte-.
laine, il allait au-devant d’elle, tombait à genoux et l’implorait :
Pardonne-moi, délivre-moi de mon crime. Toi seule peux me pardonner.
Je ne le peux pas, répondait la châtelaine... Je-voudrais te,pardonner, mais
je ne le peux pas.
Ainsi passa une année.
Un jour, la vieille dame, après avoir longtemps pleuré sur la tombe, dit à Antone:
— 11 me semble que je epmmence à ne plus t’en vouloir comme autrefois..
Le lendemain, on trouva Antone mort dans la chapelle.
Dans la presqu’île des Gégoulis, la Volga est resserrée dans. son lit et ses eaux
y gagnent en profondeur et son courant en vitesse; le passage le plus étroit du
fleuve s’appelle les Portes de Samara et se trouve à l’endroit où les deux rives se
relèvent ; plus loin, la gauche seule reste montueuse, la droite s’écarte et s’affaisse
en molles ondulations couvertes de forêts éternellement vertes de sapins et de pins.
En plusieurs places, lés Gégoulis forment des rochers à pic, toujours couronnés
de bois au sombre feuillage, quelques rares promontoires, restent dénudés. Souvent,
au-dessus, Je voyageur aperçoit deux aigles qui tournoient dans un combat acharné,
. bien que -le mouvement de leurs ailes reste toujours majestueux, mesuré et plein
de dignité. L ’un se soulève, l’autre au-dessous se rénverse sur le dos, et les deux
oiseaux s’accrochent de leurs serres en échangeant des coups de bec qui jettent
dans la Volga des plumes ensanglantées.
XIII
Fécondité du sol. — Sarepta. —, Type de colonie allemande en Russie.
Les Frères MoravesÙ— La p l a in e C a s p i e n n e .D’où vient le sel en Rassie?
Les Boyrouns. — - Les Kirghiz. — Le delta de la Volga, Astrakan.
Au pays dù poisson et du caviar.
t e s montagnes: verticales font place à des cimes (Je formes plus arrondies et
L moins escarpées,, ¡ouïes vertes, leurs sommets se prolongeant en courbes
harmonieuses,-. :/
On pourrait se croire sur l’Elbe ou sur le Rhin, l’oeil cherche les vignes ; mais
le voyageur n’a qu’à regarder à droite pour se convaincre qu’il est dans l’Orient
demi-asiatique, froid et couvert de sable où poussent les -saules et les sapins.
La nature méridionale devient plus sensible dans les environs de Tsaritzinê;
là, les pruniers et les amandiers sauvages fleurissent au printemps et en automne,
et les mûriers y poussent librement. Il n’y a plus de crépuscule et en été, vers huit
heures, lë' jour cesse brusquement et cède la place à une nuit calme, chaude et
constellée.
Grâce à la fécondité du sol et à la facilité dù travail, l’agriculture prospère ;
dans les bonnes années, rien que cette région des bords de la Volga donne plus de
deux millions de tchetvertes de Belatourka (froment dur), le meilleur qui y
. existe; les célèbres biscuits de Huntley et Palmer’s ne peuvent se passer de la
fariné de Samara.
La terre est si riche dans cette région que, souvent, on a pu ensemencer pendant
vingt et trente ans le même champ de blé, sans avoir, besoin d’engrais, et la
récolte était toujours abondante. Pour peu que les pluies-surviennent en leurtemps,
les épis poussent à vue d'oeil et dépassent bientôt la taille d’un homme.
Les terrains où l ’on sème le tabac ont seuls besoin d’engrais; il est principalement
cultivé par les colonies' allemandes, dont Sarepta est la plus caractéris-
tique. En 1763, un certain nombre d’étrangers adressèrent à l’impératrice Catherine
II la demande de leur permettre d’aller habiter le pays compris entre
Astrakan et Saratov. La tsarine, trouvant avantageux pour la Russie de peupler
cette région encore déserte,(accorda son autorisation et les encouragea en octroyant