5q R U S S I E .
— A moi, elle me plaît; mais je ne sais pas si, moi, je lui plais, répond le
jeune homme.
Si la fiancée ne répond rien, son silence équivaut à un assentiment. On entre
dans l’isba et aussitôt, sur un signe du fiancé, on apporte à la jeune fille son rouet ;
alors le marieur lui dit :
— Voyons, fiancée, montre-nous si tu sais bien filer.
Elle donne quelques tours de rouet; puis, sur un nouveau signe du fiancé, la
marieuse lui dit :
— Très bien, fiancée, maintenant marche un peu pour que nous voyions si tu
n’es pas boiteuse.
Elle se promène dans la chambre, puis s’approche du jeune homme et
lui dit :
' _ Faites-moi le plaisir de faire quelques tours dans la chambre, pour que je
voie si vous marchez droit.
Quand le fiancé s’est exécuté, on place tes jeunes gens côte à côte pour voir s’ils
sont bien assortis de taille, et tout le monde crie :
— Joli couple, bon couple !
Pendant ce temps, les parents procèdent à la cérémonie du « marché », de la
« mise » ou du cc claquement de mains », qui montre très clairement le caractère
mercantile du mariage chez le paysan russe.
— Eh bien! allons-nous conclure? demande le père de la fiancée au père du
jeune homme.
— Je suis prêt, si vous voulez?
— Et combien mettez-vous sur la table ?
— Nous mettons quinze roubles, ..
— Si peu? On m’a mis vingt roubles pour ma fille aînée, et les temps étaient
plus durs.
— Eh bien, nous donnerons une pelisse.
_ Allez vous promener avec votre pelisse, j’en ai déjà une. Non, nous ne
consentirons pas!...
La somme de la mise dépend de la fortune du père du fiancé et varie ordinairement
de vingt-cinq à cent roubles.
La fiancée, de son côté, doit apporter en dot du linge, de la literie, des vêtements*
les outils nécessaires pour les travaux de femme, comme le rouet, les
râteaux, les fourches, sans oublier le dé, les aigùilles et le fil..
11 est indispensable qu’elle possède une quantité suffisante de toutes ces choses,
si elle ne veut s’exposer à avoir tout de suite des désagréments avec la famille de
. son mari, car sa belle-mère et ses belles-soeurs ne lui feront cadeau ni d’un essuie-
mains, ni d’un chiffon.
Quand la question de la mise est réglée, on dit la prière, et les parents de la
fiancée se tapent dans les mains, qu’ils ont soin d’envelopper dans les pans de leurs
manteaux; heureux présagé, qui promet aux futurs époux qu’ils ne manqueront
jamais de vêtements.
Longtemps avant la célébration du mariage, la fiancée s’isole, renonce aux jeux
et aux chants de la jeuntessè, ne va plus aux veillées joyeuses, et si elle y fait une
Les tours penchées d’Iaroslâv.
courte apparition, c’est pour pleurer avec ses amies et les apitoyer sur son mal-
heureux sort. .
Il est- impossible de ne pas reconnaître dans ces coutumes un vestige de 1 antiquité
la plus reculée.
M. Westphall, un folkloriste éminent, qui connaît à fond les chansons grandes-
russiennes, affirme que le paysan russe a conservé de l’antiquité aryenne, dans
toute leur fraîcheur et leur naturel, ce,s traits de la vie primitive, qui, chez le poète
Catulle, ont l’air d’être des hyperboles poétiques.
On retrouve dans ces chansons, comme dans les vers du poète latin, les