été modifiés par le contact de la civilisation. La vie du Cosaque se passe tout
entière hors de la maison, où il ne rentre qu’à de rares intervalles pour se reposer
en faisant une orgie de vodka. Il n’y a de sédentaires dans les villes et les villages
des Cosaques que les femmes, les enfants et les vieillards ; tant qu’un Cosaque a
la force de se tenir à cheval, quel que soit son âge, il préfère la vie au grand air, et
à peine un enfant est-il assez grand pour garder son équilibre, que déjà son père l,e
met en selle et le fait galoper, tandis que la mère, du seuil de l ’isba, encourage le
petit cavalier.
Pendant que le Cosaque, en temps de paix, passe son temps à la chasse et à la
pêche, en temps de guerre défend la frontière et repousse les assauts des Tcher-
kesses, ses émules en bravoure plus encore que ses ennemis, les femmes gardent la
stanitsa, soignent leur maison qu’elles tiennent très propre, nourrissent les bestiaux,
cultivent les champs, en un mot s’acquittent de tous les pénibles labeurs de l’agriculture.
Ces rudes travaux vieillissent la femme cosaque avant l’âge sans abattre
son énergie et son activité.
Elle n’est plus l’esclave docile et tremblante devant son mari, telle qu’elle nous
a été dépeinte par Gogol.
« Elle n’avait vécu d’amour que peu d’instants, pendant la première fièvre de
la jeunesse et de la passion, et son rude amant l’avait abandonnée pour son sabre,
pour ses camarades, pour une vie aventureuse et déréglée. Elle ne voyait son mari
que deux ou trois jours par an, et, même quand il était là, quand ils vivaient
ensemble, quelle était sa vie? Elle avait à supporter les injures et jusqu’à des coups,
ne recevant que des caresses rares et dédaigneuses; la femme était une créature
étrange et déplacée chez les Zaporogues, dans ce ramas d’aventuriers farouches.
Sa jeunesse passait rapidement sans plaisir; ses belles joues fraîches, ses blanches
épaules se fanaient dans la solitude et se couvraient de rides prématurées. Tout ce
qu’il y a d’amour, de tendresse, de passion dans la femme se concentra chez elle
en amour maternel. »
La femme cosaque a conquis sa place au foyer par son travail persévérant et
le bien-être qu’elle a répandu autour d’elle. Elle est respectée et honorée dans la
stanitsa. Maintenant la vie du Cosaque n’est plus agitée et tourmentée comme elle
l’était du temps de Tarass-Boulba; il a plus de loisirs pour s’occuper de sa famille,
et il devient sensible au charme d’une existence moins primitive et plus confortable.
Il aime la bonne chère et les bons vins : aussi les talents de la ménagère
trouvent l’occasion de s’exercer et accroissent l’influence de la femme.
Il n’a rien perdu de ses instincts guerriers, ni de son goût pour les incursions
hardies. Autrefois il vivait dans des alertes perpétuel les ^toujours en guerre avec
toutes les peuplades asiatiques qui bordent la frontière; maintenant que* ces populations
ont accepté la domination du tsar, le Cosaque ne trouve-plus à exercer ses
talents belliqueux qu’eii les mettant au service de la Russie, et il tend à se laisser
L E S C O S A Q U E S . 247
absorber de plus en plus par cette nation, pour laquelle il manifestait dans le passé
le plus profond dédain. Il méprisait d’ailleurs tout ce qui n’était pas Cosaque
ou Tcherkesse. Aujourd’hui ses aptitudes militaires, mieux disciplinées, ont fait
de lui un précieux auxiliaire de l ’armée du tsar. Il est permis de se demander
si les Russes auraient jamais pu pénétrer si avant en Asie sans le concours des
Cosaques.
Eux seuls étaient à leur aise dans les steppes sans fin et au milieu de ces peuplades
sauvages et hostiles. Personne ne savait comme eux découvrir une source
au milieu du désert, planter une tente sur ses bords, s’y retrancher et former le
noyau d’un village ou d’une ville, qui était un jalon posé en Asie, et un lieu de
refuge pour ceux qui poussaient plus loin leurs explorations.
D’après la loi de 1875, les Cosaques sont tenus de servir dans l’armée de l ’âge
de dix-huit à trente-huit ans. L ’Etat ne leur fournit que les armes et les munitions;
de dix-huit à vingt ans ils apprennent les éléments de l’art militaire et s’exercent à
monter à cheval. Lorsqu’ils entrent au régiment, ils sont déjà des cavaliers
accomplis; Leur période d’activité comprend trois tours de quatre ans ; ceux du
premier tour restent en permanence sous les drapeaux, ils sont entretenus par leur
voïsko (armée de Cosaques) et se partagent actuellement en voïskos du Don, du
Kouban, du Terék, d’Astrakan, d’Orenbourg, de l ’Oural, de Sibérie, du
Transbaïkal et de l’Amour.
Pendant le deuxième tour, les Cosaques peuvent retourner à leur stanitsa, mais
ils doivent être prêts à répondre au premier appel. Enfin, au troisième tour, ils ne
sônt plus obligés d’entretenir un cheval et voilà comment il se fait qu’il existe
des Cosaques sans chevaux, ce qui semble un paradoxe. D’ailleurs, le type
primitif du cheval arabe a disparu et le cheval de steppe est actuellement d’un
prix très élevé.
Le gouvernement russe s’est inquiété de cet état de choses et l’on a créé des
caisses de secours pour permettre aux Cosaques pauvres de se procurer de bons
chevaux.
Les Cosaques appartiennent à la religion grecque orthodoxe et n’ont pas mérité
que leur nom soit, comme il l ’était encore tout dernièrement, synonyme de brutalité
et de barbarie.
« C ’est un Cosaque! » n’indique assurément pas dans la bouche d’un Français
une haute opinion sur le savoir-vivre et l’urbanité de la personne désignée sous
ce qualificatif, et le dicton populaire : « Grattez le Russe, vous trouverez le
Cosaque », exprime peu de confiance dans la civilisation moscovite. Rien de plus
immérité que ce mauvais renom des Cosaques; ils sont, en réalité, les hommes
les plus affables de l’armée russe : la liberté relative dont ils jouissent a favorisé
leur développement, et le goût qu’ils ont pour les légendes, qu’ils se transmettent
de génération en génération, leur a laissé un tour d’esprit poétique.