hasard devant 1 e khoutor. La belle voix du diacre le frappa et il donna l’ordre à son
cocher de s approcher du groupe joyeux, et, après le premier échange de politesses,
il s’écria :
Mais quel est celui d’entre vous qui possède une si forte voix de ténor ?
Quelle belle voix !
Le père Stephan ne savait où se mettre ; il était sans soutane, en bras de chemise,
dans la société de ses paroissiens et dé ses paroissiennes,, tenue déjà inconvenante
en soi, et qui plus est, il était gris; il n’y avait pas moyen de s’y tromper!
Il se tint au • dernier plan ; devant lui se dressaient quatre fermiers et une
femme,^et il se croyait dissimulé à tous les regards par ces cinq larges dos.
Mais lorsque l’arkhierei demanda qui possédait une si belle voix, il trembla
de tout son corps. Il sentit l’approche du plus grand danger qui l’eût jamais menacé,
et par une mimique énergique, il supplia ses compagnons de ne pas trahir sa
présence. Seulement, comme ceux-ci lui tournaient le dos, ils ne remarquèrent pas
ses gestes effarés.
— Je voudrais savoir lequel d’entre vous a une si belle voix de, ténor? répéta
l’arkhierei.
Tout le monde savait qu’il s’agissait du père Stephan ; désireux de glorifier
le diacre devant son chef ecclésiastique et croyant lui rendre service en mettant ses
talents en évidence, un fermier dit d’une voix nette et sonore :
— C ’est le père Stephan; il n’y a que lui qui ait une si belle voix.
Le père Stephan! demanda l’arkhierei, et ses yeux fulminaient; qui de vous
est le père Stephan ?
Les cinq dos qui abritaient le pope s’écartèrent, et le prélat aperçut le. diacre
du village deTokmak, le père Stephan Revoutchi, sans soutane, en manches de
chemise, ses longs cheveux nattés en piteux catogan de travers sur la nuque, et
en état complet d’ébriété.
Le lendemain, le père Stephan reçut l ’ordre d’aller passer un an et deux mois
dans un couvent, pour jeûner et prier.
Il avait sept enfants, dont l ’aîné venait d’entrer dans sa douzième année, et
toute la famille ne vivait que de ce que lui rapportait son diaconat. Que devenir ?-
Après mûres réflexions, le diacre plaça sa femme et ses enfants sur un char et les
conduisit au palais épiscopal.
Le père Stephan surprit l’arkhierei en petite soutàné, occupé à donner à manger
aux volatiles de sa basse-çour. Au premier abord, il né reconnut pas dans ce
simple vieillard le prélat courroucé qu’il avait vu une fois à Tokmak. Mais) s’étant
biemconvaincu qu’il était en présence de l’arkhierei, il fit un pas en avant, s’inclina
jusqu’à terre et reçut la bénédiction du prélat.
— Q ue,viens-tu demander, Batiouchka? dit l ’arkhierei en regardant avec
stupeur le diacre d’abord, puis le char bondé d’enfants.
MOINES DANS UN COUVENT.