Aussi adresse-t-il sans cesse des prières à Dieu, et à chaque cahot il implore
la Vierge et tous les saints. A presque toutes les chapelles, devant l’icône effacée,
il arrête sa troïka, enlève son bonnet, se signe et jette un copeck dans l’aumônière
que lui tend le pèlerin. Longtemps après, il se signe encore en murmurant une
prière entre ses lèvres.
Les longs voyages, comme la vie pastorale, développent le sens poétique du
paysan. Tranquillement couché sur son siège, laissant à ses bons et intéressants.
chevaux le soin de suivre la route qu’ils connaissent, le dolgui-isvostchik admire
les belles matinées de printemps, remplies de chants et de parfum, les sereines
nuits étoilées au milieu des champs déserts et les terribles jours d’hiver sous la
neige et le vent.
Son âme est touchée et réveillée par le souffle frais de la nature; il l ’aime
comme sa mère, il scrute les profondeurs du ciel avec une dévotion religieuse pour
y chercher les images pieuses qui ont charmé son enfance. Et toujours musant, i l
se demande ce que signifient ces étoiles innombrables ; involontairement il songe
à la vie future, à ce qu’il deviendra, lui, sa famille, le monde entier ? Sa pensée
vagabonde ici et là, se reporte vers sa femme qu’il n’a pas vue depuis des mois,
et son coeur se serre à l’idée de toutes les vicissitudes de sa vie, alors ses lèvres
entonnent une plaintive chanson russe, qui s’envole tremblante et mourante au
loin dans les champs, communiquant la tristesse et l’inquiétude à tous ceux qui
l’entendent.