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Le village petit-russien. — Le tchernoziom. — L a vie rurale du Petit-Russien.
Le s villages des Petits-Russiens sont toujours bien situés, à proximité d’un
beau fleuve, le plus souvent au sommet d’une colline; les maisons sont éparses
au milieu des pâturages, où se promènent librement les poules, les canards, les
oies, les vaches et les boeufs, et il n’y a pas de rue. tracée.
L ’église et le cimetière dominent invariablement le bourg. De hautes jouravli
(cigognes), des puits, qui allongent démesurément
leurs longs cous vers le ciel,' et les
ailes géantes, des moulins à vent, donnent
à ce paysage une physionomie originale,
¿que complètent pittoresquement les riches
champs de blés dorés, les vastes steppes
verts, les longues bandes de terre noire,-
attendant les semences, et les. jardins regorgeant
de pastèques, de melons et de
soleils. Les khati (maisons du moujik petit-
russien), construites en terre, toujours blanches
et proprettes, recouvertes d’une épaisse
couche de chaume frais, -que surmonte la
cheminée blanche, sont entourées de jardins;
les fenêtres, surtout s’il se trouve
une jeune fille dans la maison, sont ornées
d’oeillets, de roses et de diverses plantes ;
dans le verger s ’épanouissent des pavots de
P e t i t e - R u s s i e ■ Au puits.
des buissons de lilas et de sureau, et la fleur chère aux
différentes couleurs,
esthètes.
Au milieu de ces steppes où, sur une étèndue de plusieurs centaines de kilomètres,
l’oeil ne voit pas un arbre, ces villages fleuris font l’effet d’oasis dans le désert.
L ’amour de la propreté est un trait inné du Petit-Russien. et le distingue
des Russes d’autres provinces ; son occupation favorite est l'agriculture ; ce qui
s’explique facilement par la merveilleuse fécondité de la terre en ces régions.
Aussi, même dans les villages situés dans le voisinage des fleuves poissonneux et
navigables, où la pêche et le cabotage'suffiraient amplement pour nourrir les
paysans, ceux-cîCleur préfèrent la culture de la terre.
Le tchernoziom, la terre noire, s’émiette facilement et, desséchée, forme une
poudre impalpable que le vent soulève et qui flotte longtemps dans l’air. Le voyageur,
pendant les périodes de sécheresse, est saupoudré de cette poussière et semble
un pierrot enfariné; elle pénètre toutes lés issues jusque dans des coffres hermétiquement
fermés.
On croit qu’un tiers de la Russie d’Europe, 87 millions de dessiatines, est couvert
de terre noire et appartient exclusivement à la Russie méridionale. L a région
du tchernoziom ignore le sapin et l’aulne blanc; la limite méridionale de ces essences
est aussi la limite septentrionale de la terre noire.
Le pin franchit cette borne, mais on a constaté que dans les endroits où il
pousse il n’y a pas de terre noire.
Cette région est pauvre en forêts et on peut l’appeler un steppe. On croit
qu’elle était primitivement boisée, mais que les nomades, qui préfèrent toujours les
prairies, ont détruit les bois. D’autres savants pensent que la sécheresse excessive
de ces plaines (il pleut à peine quatre-vingts jours par an), l’absence de lacs, de
grands fleuves et de rosée sont les causes de ce manque d’arbres. A la place de
l’airelle, de la bruyère et des saules, du Nord,^|in trouve dans le steppe la fraise
des prairies, l’absinthe, et surtout des graminées, la stipe plumeuse et l’agrostides
qui donnent à ces plàines méridionales un aspect tout particulier. Les différentes
variétés d’agrostides forment des faisceaux épais, larges et composés de tiges délicates
et fines couvertes d’écailles brillantes. En été, au moment de la floraison, on
dirait un brillant tapis de soie duveteuse.
La stipe plumeuse est une plante vivace qui pousse en buissons touffus; ses
arêtes, qui atteignent un demi-mètre de longueur, sont fines, souples et couvertes
d’un léger duvet. La moindre brise incline les barbes soyeuses d’un côté, chaque
brin reluit au soleil, et le steppe entier semble un onduleux lac d’argent.
Sur les bords des rivières croissent des roseaux qui dépassent la'tête de l’homme
et sont couverts de panaches duveteux avec un reflet couleur de framboise ; leurs
longues tiges flexiblés sous lé bercement du vent répandent dans le steppe un chant
mélancolique et plaintif.
La charrue et le boeuf sont l’accompagnement obligatoire du Petit-Russien, qui
cultive aujourd’hui la terre comme le faisaient les anciens dans la plus lointaine
antiquité. Encore aujourd’hui le soc de la lourde charrue, traînée lentement par
trois ou quatre paires de boeufs, déchire les entrailles de la terre qui récompense
généreusement les soins qu’elle reçoit, à moins qu’une implacable sécheresse, les
sauterelles ou les marmottes ne dévorent toute la récolte.