Quand cette tranchée est prête, on met le feu à la mousse de l’autre côté du
fossé dans toute sa longueur. Comme ce feu factice est superficiel et cjufil ne peut
pas franchir le fossé, la chaleur du brasier naturel l’attire à lui et l’oblige à courir
dans la direction opposée au vent, à l’encontre de l ’incendie qui marche sur lui.
Plus l’atmosphère s’échauffe, plus le feu artificiel grandit, s’étend et finit par
acquérir une telle force que le vent contraire est impuissant à le contenir et qu’il
court avec une vitesse vertigineuse au-devant de la flamme qui dévore la forêt.
Bientôt il atteint le foyer de l’incendie, les deux flammes rivales sont aux
prises, c’est un combat singulier entre deux antagonistes de forces égales. Les
flammes se confondent, enveloppent jusqu’à leurs cimes les arbres les plus élevés,
qui tombent comme foudroyés ;; les crépitements rappellent les roulements d’un
volcan; le sol est ébranlé p a r la chute des arbres, il semble que la forêt s’effondre
sous le choc irrésistible de cet assaut, et des nuages de fumée montent jusqu’au
firmament.
Mais tout à coup le calme se produit comme par enchantement; la flamme, ne
trouvant plus rien à consumer, commence à baisser, tourne sur elle-même, pâlit
et- finalement s’éteint. Sur le champ de bataille, il ne reste que des ; monceaux de
cendres dont le vent fait jaillir par moments des gerbes d’étincelles ; ce sont les dernières
fusées de ce gigantesque feu d’artifice, le dernier acte du drame.
II
.. Lés bourlaki. — L 'homme -locomotiveE- Le transport des marchandises sur la Volga.
Les artels des boufliàki. — Leurs chants.
Le poète Nekrassof. — Disparition graduelle de l’homme-locomotive.
Ap r è s avoir assisté à ce duel du feu, où le moujik triomphe naïvement de la
nature en retournant contre elle ses propres armes, nous, verrons avec non
moins d’intérêt le moujik accomplir dans ce pays de civilisation rudimentaire
des travaux pour lesquels depuis
longtemps en Europe la machine
a remplacé l’homme.
Les bourlaki ou haleurs de la
Volga servent au transport des
marchandises', les bateaux à vapeur
étant réservés presque exclusivement
à l’usage des voyageurs.
Pour remorquer les vaisseaux
de marchandises, les bourlaki ont WSÈ
recours à quatre procédés différents;
suivant la saison, la disposi-- ; Bourlaki
tion des rives,' le temps qu’il fait.
Tant que les bords de la Volga sont plats, ils tirent l’embarcation au moyen
d’un câble ; souvent ils se servent de Vancre comme de point d’appui pour remorquer
le bateau, parfois ils jouent des rames, et quand le vent leur est favorable,
ils déploient une voile et lui abandonnent le soin de pousser la lourde cargaison
au port; ce sont les beaux jours des haleurs, mais ils sont rares.
Le premier mode de transport au moyen d’un câble est le plus fréquemment
employé et le plus pénible. On attache, au haut du mât, une longue corde dont
l’autre extrémité est garnie sur une certaine longueur de sangles de cuir rangées
par paires, à un petit intervalle l ’ u n e de l’autre, et qui soutiennent un court bâton
assujetti aux deux bouts.
Les bourlaki s’attellent à ces sangles et appuient de tout le poids de leur