I2 RUSSIE.
corps sur le bâton placé à la hauteur de la ceinture, ils marchent d un pas égal et
cadencé et entraînent ainsi le vaisseau.
Si le bâtiment est de médiocre importance, un rang de bourlaki suffit ; s’il est
plus considérable, on ajoute un second rang; les hommes se suivent à la file
indienne.
Les bourlaki, pour se donner du courage et marcher avec plus d’ensemble,
chantent sans interruption des airs sur un rythme triste et plaintif, très caractéristique,
qui ne manque pas de charme. Ils égayent ces airs populaires en les entremêlant
de chansons égrillardes souvent des plus lestes. Tout en chantant, les
bourlaki avancent tous à la fois le pied droit, le poids de leur corps retenu par la
corde et porté en avant est trop lourd pour leur permettre d’avancer de même le
pied gauche; ils doivent se contenter de le ramener au niveau de l’autre.
La mesure du chant règle si rigoureusement la marche qu’il n’est pas possible
à un bourlak de ralentir le pas ou de s’endormir, sans que tous ses compagnons,
gênés dans leurs mouvements, le rappellent aussitôt à l’ordre.
Lorsque.le vent leur est favorable, les bourlaki peuvent faire quarante verstes
dans une journée ; mais quand il leur est contraire, c’est à peine s ils peuvent
avancer de quelques verstes en douze heures.
Des ouragans se déchaînent fréquemment sur le bassin de la Volga, et quelquefois
un coup de vent repousse violemment les bourlaki en arrière et les oblige
à jeter l’ancre sous peine de voir leur barque retracer à reculons un chemin si
péniblement parcouru. Dans ces moments de détresse, ils oublient leurs joyeuses
chansons, et leurs airs plaintifs prennent tout à coup des accents désespérés, de
loin on dirait des sanglots ;< .•
« Oh! mère Volga, crient-ils dans une sorte d’ imprécation enfantine;
« Tu es large, tu es longue, tu nous exténues, tu nous brises; toute notre
force, tu l ’as bue ! »
Il faut pour ce métier de haleur une force herculéenne et surtout des-poumons
de fer; aussi la phtisie enlève-t-elle souvent plusieurs hommes d une compagnie
de bourlaki avant qu’ils soient arrivés au terme de leur premier voyage de
Rybinsk à Astrakan.
Quand les rives de la Volga deviennent plus escarpées et se couronnent de
forêts, les bourlaki ne peuvent plus remorquer les vaisseaux de marchandises en
tirant la corde sur le rivage. Ils conduisent alors deux petits bateaux en avant de
la barque à une certaine distance, et jettent l’ancre au milieu du fleuve. A cette
ancre est attaché un long câble que tiennent les bourlaki placés sur le pont du
vaisseau marchand, a la file les uns des autres, et ils exécutent à bord les mêmes
manoeuvres que sur terre, jusqu’à ce que le lourd bâtiment ait rejoint 1 ancre
placée en avant.
Aussitôt les bourlaki retirent l’amarre, les petites barques qui servent de
remorqueurs vont un peu plus loin jeter l ’ancre de nouveau, et le même labeur
recommence sur le pont du vaisseau.
On comprend avec quelle joie les haleurs de la Volga saluent les beaux jour ,
quand un vent persistant et qui souffle dans la bonne direction leur permet de
déployer Commlae v otoilues ! les_ ouvriers russes, à quelque métier qu.i.l. s apparti.enn.ent , iles
bourlaki forment un artel (communauté). Le nombre des membres de l’artel varie
suivant l ’importance du bâtiment qu’il s’agit de remorquer. Certains vaisseaux
prennent des cargaisons de 5o,ooo pouds.
L ’artel qui se chargera du transport de ces grands bateaux peut se composer
l ï i i i u E l a V o l g a . — Le Port ie , Rybinsk. .
de i 5o à ;|po bourlaki. Une fois leur communauté organisée, ils choisissent leur
cuisinier. Cette importante fonction est ordinairement dévolue à un gamin de
dix à treize ans, à qui incombe le soin de préparer la nourriture pour toute la
compagnie, lors même qu’elle compterait deux cents membres. Il est vrai que le
menu n’est pas compliqué, car le borch (soupe aux choux) et la cacha (gruau
à l’huiie): en forment le fond presque invariable.
Quand les bourlakii'jgnt nommé leur ctjfjinier, lé premier soin est d’elire
l’homme le plus vigoureux dé l'association en lui conférant le titre d aîné. C est
lui qui doit marcher à la tête des bourlaki pour donner du courage à toute la
compagnie et servir d’exemple aux autres. Le moins robuste de l’artel marche le
dernier et doit veiller à ce que la corde ne tombe pas sur les arbres et ne soit
arrêtée par aucun obstacle.
Pour remorquer les vaisseaux de marchandises, les bourlaki sont assistés d un
botçman (pilote) qui connaît à fond le lit de la Volga dans ses moindres recoins.