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 corps sur  le  bâton  placé  à  la hauteur  de  la  ceinture,  ils marchent  d un  pas  égal  et  
 cadencé  et  entraînent  ainsi  le  vaisseau. 
 Si  le  bâtiment  est  de médiocre  importance,  un  rang de  bourlaki  suffit ;  s’il  est  
 plus  considérable,  on  ajoute  un  second  rang;  les  hommes  se  suivent  à  la  file  
 indienne. 
 Les  bourlaki,  pour  se  donner  du  courage  et  marcher  avec  plus  d’ensemble,  
 chantent sans interruption  des airs  sur un  rythme  triste  et plaintif,  très  caractéristique, 
   qui  ne  manque  pas  de  charme.  Ils  égayent  ces  airs  populaires  en  les entremêlant  
 de  chansons  égrillardes  souvent  des  plus  lestes.  Tout  en  chantant,  les  
 bourlaki  avancent  tous  à  la  fois  le  pied  droit,  le  poids de  leur  corps  retenu  par  la  
 corde  et porté  en  avant  est  trop  lourd  pour  leur  permettre  d’avancer  de  même  le  
 pied gauche;  ils  doivent  se  contenter  de le  ramener au niveau  de  l’autre. 
 La  mesure du  chant  règle  si  rigoureusement  la marche  qu’il n’est pas possible  
 à un  bourlak  de  ralentir  le  pas  ou de  s’endormir,  sans  que  tous  ses  compagnons,  
 gênés  dans  leurs  mouvements,  le  rappellent  aussitôt à  l’ordre. 
 Lorsque.le vent leur  est favorable,  les  bourlaki  peuvent  faire  quarante  verstes  
 dans  une  journée ;  mais  quand  il  leur  est  contraire,  c’est  à  peine  s ils  peuvent  
 avancer de quelques  verstes  en  douze  heures. 
 Des  ouragans  se  déchaînent  fréquemment  sur  le  bassin  de  la Volga,  et  quelquefois  
 un  coup  de vent  repousse  violemment  les  bourlaki  en  arrière  et  les  oblige  
 à  jeter  l’ancre  sous  peine  de  voir  leur  barque  retracer  à  reculons  un  chemin  si  
 péniblement parcouru.  Dans  ces  moments de  détresse,  ils  oublient  leurs  joyeuses  
 chansons, et  leurs  airs  plaintifs  prennent  tout  à  coup  des  accents  désespérés,  de  
 loin  on dirait  des  sanglots  ;< .• 
 «  Oh! mère Volga,  crient-ils dans une  sorte  d’ imprécation enfantine; 
 «  Tu  es  large,  tu  es  longue,  tu  nous  exténues,  tu  nous  brises;  toute  notre  
 force,  tu  l ’as  bue !  » 
 Il  faut pour  ce  métier  de  haleur  une  force  herculéenne  et  surtout  des-poumons  
 de  fer;  aussi  la phtisie enlève-t-elle  souvent plusieurs  hommes  d une  compagnie  
 de  bourlaki  avant  qu’ils  soient  arrivés  au  terme  de  leur  premier  voyage  de  
 Rybinsk à Astrakan. 
 Quand  les  rives  de  la  Volga  deviennent  plus  escarpées  et  se  couronnent  de  
 forêts,  les  bourlaki ne  peuvent  plus  remorquer  les  vaisseaux  de  marchandises  en  
 tirant  la  corde  sur  le  rivage.  Ils  conduisent  alors  deux  petits  bateaux  en  avant  de  
 la  barque  à  une  certaine  distance,  et  jettent  l’ancre  au  milieu  du  fleuve.  A   cette  
 ancre  est  attaché  un  long  câble  que  tiennent  les  bourlaki  placés  sur  le  pont  du  
 vaisseau marchand,  a  la  file  les uns  des  autres,  et ils  exécutent  à  bord  les  mêmes  
 manoeuvres  que  sur  terre,  jusqu’à  ce  que  le  lourd  bâtiment  ait  rejoint  1 ancre  
 placée  en  avant. 
 Aussitôt  les  bourlaki  retirent  l’amarre,  les  petites  barques  qui  servent  de 
 remorqueurs  vont  un  peu  plus  loin  jeter  l ’ancre  de  nouveau,  et  le  même  labeur 
 recommence sur  le  pont du vaisseau. 
 On  comprend  avec quelle joie  les  haleurs  de  la  Volga  saluent  les beaux jour  ,  
 quand  un  vent persistant  et  qui  souffle  dans  la  bonne  direction  leur  permet  de 
 déployer Commlae v  otoilues !   les_ ouvriers  russes,  à  quelque  métier  qu.i.l. s  apparti.enn.ent , iles 
 bourlaki  forment un  artel  (communauté). Le nombre des membres  de l’artel  varie 
 suivant  l ’importance  du  bâtiment  qu’il  s’agit  de  remorquer.  Certains  vaisseaux 
 prennent des  cargaisons  de  5o,ooo  pouds. 
 L ’artel  qui  se  chargera  du  transport  de  ces  grands  bateaux  peut  se  composer 
 l ï i i i u E   l a   V o l g a .  —  Le  Port  ie , Rybinsk.  . 
 de  i 5o  à ;|po  bourlaki.  Une  fois  leur  communauté  organisée,  ils  choisissent  leur  
 cuisinier.  Cette  importante  fonction  est  ordinairement  dévolue  à  un  gamin  de  
 dix  à  treize  ans,  à  qui  incombe  le  soin  de  préparer  la  nourriture  pour  toute  la  
 compagnie, lors  même  qu’elle  compterait  deux  cents  membres.  Il  est  vrai  que  le  
 menu  n’est  pas  compliqué,  car  le  borch  (soupe  aux  choux)  et  la  cacha  (gruau 
 à  l’huiie): en  forment le fond presque invariable. 
 Quand  les  bourlakii'jgnt  nommé  leur  ctjfjinier,  lé  premier  soin  est  d’elire  
 l’homme  le  plus  vigoureux  dé l'association  en  lui  conférant  le  titre  d aîné.  C  est  
 lui  qui  doit  marcher  à   la  tête  des  bourlaki  pour  donner  du  courage  à  toute  la  
 compagnie et  servir  d’exemple  aux  autres.  Le  moins  robuste  de  l’artel  marche  le  
 dernier  et  doit  veiller  à  ce  que  la  corde  ne  tombe  pas  sur  les  arbres  et  ne  soit  
 arrêtée par  aucun obstacle. 
 Pour  remorquer  les  vaisseaux de marchandises, les bourlaki sont  assistés  d un  
 botçman  (pilote)  qui  connaît  à   fond  le  lit  de  la  Volga  dans  ses moindres  recoins.