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 En revanche,  les archives locales contiennent plusieurs dossiers concernant des  
 réclamations  d’argent  à  l ’adresse  du  gentilhomme  Pouchkine.  Sur  l ’une  de  ces  
 requêtes on  lit,  tracé de  la main  du  poète,  des explications  fort curieuses.  ' 
 «  La   dette  qu’ on me  réclame  est une dette  de  jeu, dette  d’honneur;  mais  l’argent  
 m est  réclamé par  le  valet-serf du  prince N ...  qui lui  a  remis mon  billet,  d’où  
 je  conclus  que  le  prince N...  manque  lui-même  d’honneur  ».  Suit  la  signature  de  
 Pouchkine. 
 C’était  en  1821,  et  déjà  à  cette  époque  on  commençait  à  persécuter  le  grand  
 poète  qui  devait  tomber un  peu  plus  tard  victime  de  ces  intrigués. 
 Kichinev  possède  deux  jardins  publics' offrant  aux  promeneurs  leurs'  allées  
 toutes  droites, bordées d’acacias  blancs.  Cet arbre, qui réclame un terrain profond,  
 rencontre  trop  vite  la pierre dans le.  sol,  et au  bout  de  vingt ou  trente  ans  sa  cime  
 commence  à  se  dessécher.  Le  tilleul  et  l ’érable  du Midi  viennènt mieux,  mais  les  
 habitants  de  Kichinev  sont  trop  paresseux  pour  en  planter.  Les  buissons  et  les  
 fleurs  sont  rares,  il  n’y  a que  l ’acacia  qui  étale  sa blanche  floraison. 
 Cependant  la  terre  en  Bessarabie  est propice  aux  cultures  les plus  variées ;  il  
 serait  facile  d’en  tirer meilleur parti que ne le fait  l ’indolent Bessarabien,  comme  le  
 prouve  la  belle  datcha  (maison  de  campagne)  de  M.  Neroutchev,  agronome  et  
 publiciste  du midi  de la Russie  très  avantageusement  connu. 
 De  la  terrasse  de  sa  villa,  entre  les  murs  couverts  de  festons  de  rosés  grimpantes, 
   sous l’ombre des cerisiers et près des espaliers d’abricotiers aux fruits dorés  
 et  veloutés,  s ouvre un panorama  qui  ne déparerait pas  un  site italien. Au premier  
 plan,  des vignes  dont  les larges  feuilles  vertes luisent  d’un éclat métallique  sous un  
 soleil  incandescent  - le  thermomètre en été monté, à Kichinev, jusqu’à 45  et même  
 47  degrés ; —   au  delà  de ■ ces  vignes  s’arrondit  un  petit  lac  dont  les  rives  sont  
 coquettement  semées  de  maisonnettes  rouges ;  il  brille  et  scintille  au  fond  de  la  
 vallée onduleuse, qui continue,  resserrée entre  deux  collines,vertes  de  vignobles  et  
 de  jardins, piqués de blanches cassas. Au  loin, l’horizon  se dérobe par la ligne indécise  
 des  montagnes  qui  deviennent  de  plus  en  plus  vaporeuses.  Ce  n’est  pas  la  
 brume  toujours  blanche  ou  grise de la Russie, mais  la brume violette des paysages  
 d’Italie.  ‘  y - . 
 Tel  est  1 aspect  de  la  Bessarabie  du  nord.  Tout près  de  Kiçhinév,  les  forêts  
 commencent,  composées  de grands  arbres,  de  chênes et  d’ormeaux.  De  nombreux  
 ruisseaux  courent  non  loin  de  la voie  ferrée ;  sur  leurs bords  se  dressent  de  hauts  
 peupliers,  des  saules, des hêtres.  La  dernière  station  forestière de  cette ligne, Kor-  
 nechti,  se  trouve être  le  point  culminant  dé  la  Bessarabie.  Les  forêts  disparaissent  
 et,  du  haut  de la montagne, le  regard  embrasse  une vaste plaine  d’un  bleu violacé  
 à l’extrémité  de  laquelle  coule le Pruth. 
 Nous  avons  vu  ce  que  c’est  que  le  chef-lieu  de  Bessarabie;  dn  devine  ce 
 que  peuvent  être  les  villes  de  moindre  importance,  Bender,  Beltzi,  Khotine  et  
 Akkerman. 
 A  Bender, le Dniester n’est pas large, mais très rapide ;  sa rive gauche est basse,  
 inondée  deux  fois  par  an,  au  printemps  
 et  en  été,  lors  de  la  fonte  des  
 neiges  dans  les  Carpathes,  et  toute  
 recouverte  des  jardins  de  la  colonie  
 bulgare  Parkani.  Dans  les-enclos  se  
 pressent  la  vigne,  les  (poiriers,  les  
 pommiers, les  pruniers  hongrois,  les  
 cerisiers,  les  abricotiers, les pêchers,  
 les  cognassiers ;  au  milieu  de  ces  
 vergers,,  par-ci,  par-là,  pareils  à  
 des  fontaines  vertes,  s’élancent  les  
 sveltes  peupliers  et  les  vieux  noyers  
 à  plantureuses  coupoles.  La   nature  
 est  donç  fort  belle  dans  ce  pays,  et  A   K i c h i n e v .   —   É c o l e   vinicolè. 
 d’autant  plus  laides  apparaissent  les 
 villes,  ces  amas  informes de masures,  rappelant des  champignons  et  dont les pieds,  
 trempent dans  la  boue.  D’ailleurs,  le  nom  de  Beltzi  signifie  boue;  de  loin,  la  ville  
 semble  encore  présentable;  mais  dès  qu’on  y   pénètre,  quelle  désillusion!  On  ne  
 peut  rien  imaginer  de plus  infect.  Elle  est  bâtie  au  fond  d’un  énorme  entonnoir, 
 et  la  moindre  pluie  suffit  pour  la  
 remplir  de  boue  noire.  Au  printemps, 
   il  est  plus  facile  d’aller  de  
 Beltzi  à  Kichinev  que  d’une  extrémité  
 de  la v ille  à  l ’autre. 
 M.  Diedloff  a  vu  Beltzi  après  
 une  heure  de  pluie  modérée;  pour  
 franchir  la  distance  de  deux  cents  
 mètres  qui  séparait  son  hôtel  de  la  
 mâison d’un ami,  il a fallu une demi-  
 heure,  bien  qu’il  fût  piloté  par  un  
 homme  du  pays.  Il  a  plaisamment  
 conté les péripéties de ce court trajet : 
 «  Nous  sortons  sur  le  perron,  écrit-il,  la  nuit  est  noire;  dès  que  nous  mettons  
 pied  à  terre,  nous  nous  noyons  dans  un  inconnu  inquiétant.  Je  reproduis  
 mot  à mot  le monologue  de mon  guide  : 
 «  —  Tenez-vous fermé  à mon pardessus... Vous êtes mal  à  l’aise... Vous avez  
 peur  de me marcher sur  les  pieds?  Prenez  le  bout  de mon  bâton...  L ’éclairage  des