
 
        
         
		mêmes manoeuvres  en  se  dirigeant  vers  le  premier  ataman,  et quand  ils  se  rejoignirent, 
   le filet avait  complètement  disparu  sous  la  glace. 
 Pour le  retirer,  ils  employèrent les vorota, tonneau roulant, fixé  à un  traîneau,  
 autour  duquel  des  câbles  sont  enroulés.  A   mesure  que  le filet  sort de  l’eau,  on  le  
 jette  sur  le  traîneau. 
 Le  fond  du  filet  était  encore  à mi-profondeur  que  déjà  les  bords étaient pleins  
 de  poissons  et  de  crabes,  mais  les  pêcheurs  n’en  faisaient  aucun  cas,  les  abandonnant  
 aux gamins qui couraient  sur la glace pour les  ramasser;  les hommes,  sans  
 proférer un  cri,  calmes  et majestueux,  continuaient  à  retirer  le  filet. 
 gggÉr  Voyez-voüs,  fit remarquer  le  guide au  voyageur,  toutes  ces  saletés  ?  quelle  
 masse d’écrevisses ! 
 ;-f-r Mais  pourquoi  les  appelez-vous  des  saletés ?  ; 
 —   C ’est  qu’elles  s’accrochent  aux  mailles  du  filet,  quelquefois  en  si  grand  
 nombre  qu’elles  le font  redescendre ;  puis  il  est impossible de les  arracher avec  les  
 mains,  et  nous  sommes  obligés  de  les  écraser  sous  les  pieds. 
 ||g |§ | Mais  pourquoi ne vendez-vous pas  les  écrevisses  ? 
 ;f?ir'Qui  les  achèterait  ici?  Et  comment  les  transporter?  Elles  craignent  le  
 froid. 
 Enfin  le  fond  du  filet  sortit de la glace, les pêcheurs l’entraînèrent loin de  l’ouverture  
 et  le  vidèrent  sur  la surface  gelée du  lac. 
 Le premier  ataman,  à  l’aide  de  son  slivalo,  tria  les  grands poissons  et  les  mit  
 à  part ;  les  acheteurs  s’empressèrent  de  les  couvrir  de  neige  qu’ils  détachaient  
 et  tassaient  avec des haches.  Le  filet du second ataman  fut retiré de la même façon. 
 Alors  le premier  ataman,  embrassant du regard  tout  le produit de la pêche, dit  
 à  voix  basse  au mokriak  le prix  qu’il  devait  demander  pour  le  poisson. 
 |S |  Maintenant, votre noblesse,  dit  le  guide  à M. Yakouchkine,  si  vous voulez,  
 vous pouvez régaler les atamans. 
 Il  s’empressa de  les  appeler  par  leurs noms. 
 Quatre moujiks,  deux  atamans  et  deux  reltchiks  s’avancèrent vêtus de grosses  
 touloupes  et chaussés de hautes  bottes  fourrées. 
 —   Bonjour,  votre  noblesse,  dit  le  premier  ataman  en' enlevant  son  chapeau,  
 qu’il  remit  immédiatement,  pour  témoigner  qu’un  premier  ataman  ne  peut  rester  
 tête nue  devant qui  que ce  soit.  Vous  êtes venu  admirer notre pêche ? 
 —   J’ai eu  la  curiosité de  vous  voir  à  l ’oeuvre,  répondit  le  voyageur. 
 —  Oh! beaucoup de  gens  aiment  à  nous  voir pêcher, répondit-il  avec une évidente  
 satisfaction. 
 Pendant  ce temps,  le guide  sortit  deux  bouteilles  d’eau-de-vie,  en  donna  une  
 sans mot  dire  au reltchik  et déboucha  la  seconde. 
 —   Ah !  malheur!  dit-il, j ’ai oublié d’apporter un verre,  et je  n’ai rien  pris pour  
 manger  avec!  Donne-nous  ton  gant de  cuir,  premier  ataman? 
 g N o u s   avons  toujours  dans  notre poche  du  pâté de  poisson,  répondit  celui-  
 ci  en  tendant  son  gant  au  guide. 
 Celui-ci  le  remplit d’eau-de-vie  et  le  lui  passa. 
 —   Offre  d’abord  à  boire  à  sa  noblesse,  d it-il  en  repoussant  ce  gobelet  
 improvisé. 
 —  Je  vous  remercie»,  c’est  pour  vous  que  j’ai  apporté  l’eau-de-vie,  je  n’en  
 prends  jamais. 
 'ÿ* —^ Et  nous  ne  boirons  pas,  tant  que  celui  qui  nous  invite  n’a pas  bu. 
 M.  Yakouchkine  dut  s’exécuter;  il  prit  une  gorgée  dans  le  gant  et  goûta  du  
 pâté  de  poisson. 
 Lorsque  les deux  bouteilles  furent  vidées,  l’ataman  offrit  au  voyageur  d’emporter  
 du  poisson. 
 je  veux  bien,  si  vous me permettez  de  le  payer,  répondit M. Yakouchkine. 
 Cela,  non;  ça nous  porterait malheur,  ce  n’est pas  permis.  Prends-en  tant  
 que  tu  en veux,  mais  ce sera un  cadeau. 
 Malgré  les  instances  du  voyageur,  les  pêcheurs  ne  voulurent  rien  accepter  et  
 M. Yakouchkine ne  rapporta  que quelques petites  brèmes,  de quoi  faire  une bonne  
 soupe.