L ’accroissement rapide des Cosaques s’explique par le contraste que formait
leur république libre et égalitaire avec les gouvernements despotiques qui les
entouraient. Les Cosaques, au lieu d’asservir leurs prisonniers, s’empressaient de
leur donner tous les privilèges dont ils jouissaient eux-mêmes, et ainsi sè les attachaient
définitivement.
En 1598, lorsque Boris-Godounoft institua le servage en Russie, les moujiks
accoururent de toutes parts pour demander aux Cosaques d’entrer dans leur tribu,
préférant à la servitude la liberté et une vie de combats et d’aventures.
On peut dire que c’est aux Cosaques du Don que la Russie doit ses vastes
possessions en Sibérie. Dans le xvie siècle, cette tribu, ayant eu des démêlés avec le
gouvernement russe, marcha sous la conduite de l’hetman Yermak dans la Per-
mie, et découvrit le pays appelé depuis la Sibérie. Ils arrivèrent ainsi à Tobolsk,
soumettant tous les peuples qu’ils rencontrèrent sur leur route ; mais ils trouvèrent
difficile de conserver leurs conquêtes et durent demander secours au tsar
Ivan le Terrible. Celui-ci leur pardonna leur insubordination passée contre l’abandon
des pays qu’ils venaient de conquérir, et pour reconnaître le service que les
Cosaques du Don avaient rendu à l’empire, il récompensa leur chef Yermak.
Cette tribu fut celle qui résista le plus longtemps à la domination russe. Les
divers groupes de Cosaques se gouvernaient eux-mêmes, et leurs institutions ne
différaient que dans les détails.
Les Cosaques du Don, de la Volga, de l’Oural, d’Astrakan, avaient à peu près
tous un gouvernement électif et le suffrage universel. Gogol, dans sa magistrale
épopée en prose de Tarass-Boulba, a fait revivre les moeurs patriarcales des Zapo-
rogues et leur amour de la liberté.
En mettant le pied dans la setch (quartier principal des Cosaques), le. Zapo-
rogue oubliait tout ce qui l ’avait intéressé jusque-là. Le passé était pour ainsi dire
anéanti. Il s’abandonnait tout entier au plaisir de se trouver avec de gais compagnons,
qui, comme lui, n’avaient plus ni maison, ni parents, ni famille, et libres
de tous liens, n’avaient plus d’autres soucis en ce monde que celui de s’amuser
sous le ciel du bon Dieu. Le sentiment de sa complète indépendance faisait jaillir
chez le Cosaque cette source de gaieté intarissable, qui remplissait la vie dé
la setch.
Aussi les propos échangés entre les Zaporoguës, paresseusement étendus sur
l’herbe, et les longs récits d’aventures qu’ils se contaient entre eux, étaient-ils pleins
d’une verve comique, dont l’effet était d’autant plus irrésistible que le masque impassible
du conteur ne se déridait jamais, même en détaillant les scènes les plus bouffonnes.
C ’est encore aujourd’hui le trait distinctif du Cosaque et du Petit-Russien :
le regard s’anime, s’assombrit, lance des flammes ou sourit, mais dans la joie
comme dans la tristesse et la colère, pas un muscle ne tressaille, et la gaieté la
plus folle ne plisse pas le coin de la bouche et ne fait pas frémir la moustache.
L É S C O S A Q U E S . 241
La setch était un cercle familier de camarades d’école, seulement les livres et
les leçons étaient remplacés par les excursions guerrières de cinq mille cavaliers ;
pour préau, ces écoles avaient le steppe immense, borné par les frontières lointaines
où le Tatar montrait sa petite tête alerte et où le Turc les observait* de son
regard immobile et féroce sous son turban vert.
On retrouvait dans la setch tous les séminaristes qui en avaient eu assez des
Cosaques., •
verges des bons Pères, et qui sortaient du séminaire sans avoir rien appris. Il est
vrai qu’on en voyait aussi qui savaient parfaitement qu’Horace et Cicéron avaient
existé, et qui avaient une vague idée de la République romaine.
A côté d’eux, on pouvait voir des hommes qui avaient senti la corde enlacer
leur cou et la pâle mort leur sourire, parce qu’ils avaient cru de bonne foi qu’un
ducat est une fortune.