Un soir, dans le district de Novosilsk, le sacristain, en faisant sa ronde,
entendit, au moment où les coqs chantaient au village, un autre coq chanter dans
l’église même; ce chant se répéta trois fois dans la nuit. Le sacristain s’étonna de
voir un coq dans une église, mais n’y attacha pas d’importance.
Le lendemain à la même heure, quand les coqs du village chantèrent, le
même phénomène se renouvela. Le sacristain courut chez le pope, le réveilla et
lui annonça que quelque chose d’anormal se passait, que c’était déjà la seconde
nuit qu’il entendait un coq chanter en un pareil endroit.
Le prêtre s’habilla et se rendit avec le sacristain dans le temple, où tous deux
purent constater le fait. Le lendemain matin, le pope assembla ses fidèles, leur
raconta l ’aventure de la nuit et demanda :
Qui de vous, mes fils, consent à passer la nuit dans l’église pour apprendre
ce que signifie ce chant extraordinaire ? »
Après de longues hésitations, un jeune garçon du village répondit :
— Je consens à y passer la nuit.
Le soir même on l’enferma dans l’édifice sacré, où il se mit à lire VÉvangile.
Il passa la première partie de la nuit tranquillement, absorbé par sa lecture, lorsque
les coqs du village se mirent à chanter. En ce moment les portes du sanctuaire
s’ouvrirent, et u n .coq , blanc comme la neige, se posa sur l ’autel, lança son
ki-ki-ri-ki, puis il rentra dans le sanctuaire et les portes se refermèrent.
Lorsque les mêmes coqs se firent entendre pour la seconde fois, de nouveau
les portes du sanctuaire s’ouvrirent, et cette fois un coq écarlate vint dire ki-ki-ri-ki
sur l’autel.
Enfin, au troisième chant, ce fut un coq noir qui, à son tour, se posa sur
l’autel. Après *lui un moine, tout de noir vêtu, s’avança vers l’enfant et lui dit '
— As-tu compris ce que prédisent les coqs ?
— Non^ je n’ai rien compris, répondit l’enfant.
— Ecoute, je vais te l’expliquer : le coq blanc signifie que l’année prochaine
il y aura une récolte d’une abondance telle, qu’on n’en aura jamais vu de pareille.
Le coq rouge prédit une guerre sanglante, et le coq noir, la mort, les cercueils, les
tombes en telle quantité qu’il ne restera plus personne pour manger du pain.
Ainsi de nos jours le Grand-Russien crée des légendes bien faites pour réjouir
le . coeur , des poètes symbolistes ; avec un peu de bonne volonté, on trouverait
facilement un joli motif pour un opéra wagnérien : la chevauchée de la sorcière,
l’apparition. des trois coqs qui chantent ki-ki-ri-ki sur l’autel. N’y a-t-il pas de
quoi , inspirer un disciple du maître de Bayreuth?
Les bêtes occupent une place d’honneur dans les présages chers aux Grands-
Russiens. Les hirondelles e lle s pigeons sont de grands favoris; le moujik, comme
les paysans dans la plupart des pays, est persuadé que Dieu bénit le toit où les
arondesfont leur nid, et la maison où s’abritent en plus grand nombre les pigeons.