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 Fêtes  religieuses. — Valeurs  des  chansons  populaires  russes. 
 Les  chansons  dramatiques du  sémik. —  Les  superstitions.  —  Les  envoûtements. 
 Le  supplice  d’une  sorcière.  —  Les Znakhars. 
 La  légende  des trois  coqs. —  Le  rôle des  bêtes dans  les  superstitions. 
 D  a n  s   aucun  pays  les  paysans  n observent  un  si  grand  nombre  de  fêtes  religieuses  
 entraînant  le  chômage,  que  le moujik  russe,  et  de  toutes,  celle  qu’il  
 célèbre  avec  le  plus  d’entrain et  de conviction est  certainement  le carnaval.  Jeunes  
 et  vieux,  jusqu’au  fond  des  hameaux  les  plus  retirés,  prennent  part  à  cette  fête.  
 Les  gens,  en  s’abordant,  se  saluent par  ces mots  : 
 —   Je  te  souhaite  un gai,  un  honnête,  un  large  carnaval ! 
 Dans  la Grande-Russie,  le  carnaval,  y   compris  les  préparatifs  et  les  suites,  
 dure une  semaine.  Les  premiers  trois  jours,  jusqu’au  jeudi,  sont  absorbés  par  les  
 soins préliminaires;  les ménagères  préparent  la  bière,  l’eau-de-vie  et  les mets;  les  
 jeunes  gens  s’occupent  des  harnais  et  des  chars,  les  nettoient,  les  astiquent  et  les  
 ornent  de  rubans.  Ceux  qui  n’ont pas  d’attelages  font  tout  leur possible  pour  s’en  
 procurer  un  provisoirement;  car  leur  amour-propre  exige  qu’ils  se  montrent  le  
 jour  du  carnaval  dans  la  rue  du  village  avec  des  véhicules  flamboyants  et  des  
 guides  neuves. 
 Pendant  ce  temps,  les  jeunes  filles  élèvent  artificiellement  des  montagnes  de  
 glace  et  font  reluire  les  luges,  petits  traîneaux  bas qui  servent  à  se  glisser  le  long  
 des  pentes  couvertes  de neige. 
 Dès l’aurore, le jeudi,  les mères de famille se mettent  à l’ouvrage,  car ce jour-là  
 tout  le  monde  doit manger  à  satiété.  Vite,  elles  allument  le  feu  et  commencent  à  
 cuisiner.  Elles  grillent ou  font  bouillir  le poisson ;  elles préparent les  gâteaux  et  la  
 pâte pour les  crêpes,  qu’elles  serviront plus tard avec des oeufs, des baies, ou même  
 additionnées  de poisson. Cette activité de ruche se prolonge jusqu’à midi, l’heure  du  
 dîner.  Le  repas  terminé, tout  le monde  va  se  luger ou  se  balaricer  dans  des  sortes  
 de  cages  qui  se  font  contrepoids,  exercice  d’ailleurs  assez  dangereux.  D’autres  
 préfèrent  la  promenade;  cinq  ou  six  personnes  s’entassent  dans  un  traîneau  et  
 parcourent  à  toute bride  l’unique  rue  de  leur  village. 
 Après  s’être  suffisamment  montrés  chez  eux,  les  moujiks  courent  s’exhiber 
 dans  le bourg  voisin,  puis  de  village  en  village,  jusqu’au  soir.  Alors  ils  rentrent  
 exténués,  les  chevaux  fourbus,  la  tête  basse  et  trempés  de  sueur;  puis  tous  se  
 remettent  à  table,  pour  dévorer  le  reste  des  provisions  de  la  maison,  sans  rien  
 laisser pour  le  lendemain. 
 Les mêmes  exploits  se  renouvellent  le vendredi,  le samedi et  le dimanche,  qui  
 clôt  le  carnaval;  ce dernier jour,  les  paysans attellent à un  grand  char dix chevaux  
 de  file  et  quelquefois  plus;  sur  chacun  
 monte un  cavalier  en  guenilles,  
 le  visage  barbouillé  de  suie  et  tous  
 armés,  les  uns  de  grands fouets,  les  
 autres  de  balais  ou  d’autres  ustensiles  
 de  - Ménage.  Dans  le  gouvernement  
 de  Kazan,  ils  se  déguisent  
 quelquefois  en  mollahs  ou  en  kal-  
 mouks. 
 Le  char,  maculé  de  même  et  
 hérissé  de  balais,  est  occupé  par  un  
 homme  ivre  aussi vêtu de  haillons et  
 tout  noirci ;  un  tonneau  de  bière  est  
 placé près  de  lui,  ainsi  qu’un  grand  
 coffre  rempli  de  gâteaux,  de  poissons, 
   d’oeufs  et  de  crêpes.  Il  tient  
 dans  sa  main  un  grand  verre  plein  
 d’eau-de-vie.  Le  personnage  grotesque  
 qui occupe  ce  char représente  
 le  carnaval  retournant  chez  lui.  Il  
 est  tenu  de  boire  et  de  manger  sans  
 cesse.  Beaucoup  de  paysans,  qui  Mollahs  (prêtres)  tatars. 
 désirent  sincèrement  retenir  le  carnaval  
 pour  quelque  temps  parmi  eux,  le  supplient  de  rester;  mais  il  répond  que  
 cela  lui  est  impossible,  car  il  est  attendu  à  la  foire,  et  il  continue  sa  route  et vole,  
 de  toute  la  vitesse  de  ses  dix  chevaux,  à  un  autre  village.  Après  son  départ,  les  
 vieux  s’invitent  les uns  chez  les  autres  : 
 —  Eh!  petit  frère,  viens  nous  tenir  compagnie;  nous  allons  boire  et manger  la  
 fin  des  provisions;  nous  ne  pouvons  pas  les  garder pour  le  carême,  ce  serait  un  
 péché...  Moi,  pendant  le  carême,  je  ne  bois  pas  une  goutte,  et  je  ne mange  que  la  
 queue  d’un  radis... Viens  donc, viens,  petit  frère. 
 Ils  se  rassemblent  bientôt  en  si  grand  nombre  que  la  vaisselle  gémit d’un  service  
 si  actif.  Le  lendemain  lundi,  le  travail  ;manque  d’attrait,  la  tête  est  lourde;  
 pourquoi  ne  pas  prolonger  la  fête  du-carnaval  un  jour  de  plus?