Le lit des nouveaux mariés est préparé dans la grange et parfois dans l’étable.
On les y conduit en grande pompe. Dans le gouvernement de Vologda, on fait coucher
dans ce lit, pour le chauffer, un couple choisi parmi les .mariés renommés pour
leur bonne entente, afin qu’ils communiquent leurs vertus aux nouveaux époux.
La paysanne russe est encore l’esclave de son mari ; pour bien inculquer
cette notion à la nouvelle mariée, dans le gouvernement d’Iaroslav, le repas de noces
se termine par cette cérémonie brutale : un des convives prend avec les doigts un
morceau de rognon rôti et tient un verre d’eau-de-vie de l’autre main, puis il appelle
sa femme et lui ordonne de témoigner de sa soumission ; la paysanne est obligée de
tomber à genoux devant son mari et d’exécuter sous ses ordres des tours, pour
figurer ou un poisson qui nage ou un ours qui danse ; tantôt vautrée à terre, les
bras et les jambes en l’air, tantôt forcée de se livrer à des sauts grotesques. Cela
dure jusqu’à ce que l’homme ait fini de manger le morceau de rognon et de boire
la vodka, et il prend plaisir à prolonger l’humiliation de sa femme.
Tous les convives renouvellent cet exploit révoltant, et enfin c’est le tour de
la nouvelle mariée, qui doit suivre l’exemple des matrones.
Heureusement les moujiks qui sont allés à Saint-Pétersbourg ou à Moscou, de
retour au pays, renoncent à ces coutumes barbares, destinées à disparaître pro*^
chainement.
Les fêtes de mariage durent, en général, des semaines et souvent endettent les
paysans pour longtemps.
Soit pour s’épargner ces frais, soit pour d’autres raisons, il y a des gouvernements
où le mariage s’effectue par l’enlèvement de la femme, comme dans l’antiquité
la plus reculée. Dans le gouvernement d’Olonetz, le jeune homme, après s être
entendu avec la jeune fille, lui demande pour gage de sa foi un mouchoir ou une
ceinture, et lui fait savoir le jour, l’heure et l’endroit où il l ’enlèvera.
Si la jeune fille va à la veillée, son fiancé et deux de ses a m i s s’emparent d’elle
au moment où elle veut rentrer à la maison, la mettent dans un traîneau et 1 emportent.
Les voisins s’aperçoivent alors du rapt et demandent de l’eau-de-vie
comme dédommagement, sous peine de reprendre la fiancée.
Souvent ces scènes dégénèrent en rixes sérieuses. Si le ravisseur est attrapé par
les parents de la jeune fille, ceux-ci se vengent cruellement, en l’attachant devant le
seuil de leur porte pendant la nuit et en le laissant exposé à un froid de trente degrés.
L ’usage exige pourtant qu’après le rapt, les nouveaux époux viennent solliciter
le pardon des parents. Ils restent à genoux devant la maison jusqu’à ce qu on les
invite à entrer ; quelquefois, pour que leurs prières soient écoutées plus tôt, ils
amènent un pope avec eux.
Dans un village du gouvernement de Nijni-Novgorod, tout récemment, la fille
d’un riche paysan se fit enlever par un pauvre hère.
Selon la coutume, le samedi suivant, les jeunes époux vinrent se mettre à
genoux devant l’isba des parents de la jeune femme. Mais le père resta inexorable;
seule, .la mère, au bout de quatre heures, fut touchée et prit le parti de sa fille. Tous
les samedis, pendant plusieurs semaines, les nouveaux mariés vinrent s’agenouiller
sous lés fenêtres du père, sans réussir à l’émouvoir.
Néanmoins, pendant le carnaval, il s’attendrit et ouvrit la croisée en disant
aux jeunes gens i « -— Je vous pardonne,£-mais pas complètement, car je ne vous
permettrai pas de remettre les pieds chez moi. » L ’inflexibilité du père porta un
coup mortel à sa fille, une belle et vigoureuse paysanne : pendant le carême, elle
perdit sa fraîcheur et sa santé, dépérit, et petit à petit mourut de langueur.
Dans les gouvernements d’Iaroslav, de Nijni-Novgorod et de Vladimir, les
nouveaux mariés de l’année doivent, au carnaval, venir dans le chef-lieu pour se
faire voir et rester exposés aux regards des passants pendant trois ou quatre heures,
dans la rue principale. Alors on les appelle des « piliers et l’on exige qu ils
soient revêtus'de leurs plus beaux vêtements et de leurs plus précieux atours.
Si l’époux possède deux pelisses, il doit en avoir une sur le dos et 1 autre sur le
bras. La nouvelle mariée met, les unes sur les autres, ses plus belles robes, ses plus
moelleux sarafans; sa tête disparaît sous plusieurs fichus aux couleurs chatoyantes.
Quant aux pauvres, ils louent la défroque des riches pour tenir convenablement
leur rang de « piliers » .
Les passants assaillent les piliers de questions :
■■■;• — Aimes-tu ta femme? Aimes-tu ton mari? Faites-vous bon ménage?
Les piliers, pour témoigner de leur bonne entente, doivent alors s’embrasser.
Ceux qui rechignent, évidemment parce que la concorde a déserté le foyer, sont
criblés de quolibets, bombardés de boules de neige et même roués de coups de poing.