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 de  la mer une maison  de  pierre  blanche.  Il  y  entra,  et  le  tsar  de  l’eau lui dit : 
 —  Ah !  Sadko,  riche marchand, tu  as  passé  les mers  et  tu  ne m’as jamais payé  
 d’impôt  et maintenant  tu  viens  m’apporter  des  cadeaux.  Ta   renommée  de  guzlar  
 est  venue  jusqu’à moi,  je voudrais aussi t’entendre. 
 Sadko  se mit  à jouer  et  le  tsar  de  la mer commença à danser ;  il  dansait  et  les  
 eaux de la mer se soulevaient, jetant tous  les  vaisseaux  sur  les récifs,  engloutissant  
 des  richesses  et  des  hommes.  Alors  le  peuple  pria  saint Nicolas  d’arrêter  la  tempête, 
   le saint  toucha  Sadko à  l’épaule  droite. 
 —  Eh  !  Sadko  de Novgorod,  assez jouer des guzlis. 
 —   Je ne  suis  pas chez moi,  je suis au  fond  de  la  mer  bleue,  répondit  Sadko,  
 j’ai  reçu l’ordre de jouer. 
 ù  . —   Brise les  cordes de  tes guzlis,  casse  les  ardillons  de  tes  guzlis,  et  dis  que tu  
 n’as  pas  pris  des  cordes  ni  des  ardillons  de réserve,  et  que tu  ne  peux  plus  jouer.  
 Alors  le  tsar te demandera si  tu  ne veux  pas  te  choisir une  femme  parmi  ses  jolies  
 filles.  T u   laisseras  passer  les  premières  trois  cents  jeunes  filles,  et  lés  secondes  
 trois  cents  jeunes  filles,  tu  laisseras aussi passer,  et  les troisièmes trois  cents  jeunes  
 filles  ne  doivent  pas  non  plus  arrêter  tort; attention ;  mais  derrière  elles,  tu  verras  
 une  jeune  fille  qui  marchera  toute  seule,  la  jolie  brune  Tchernava.  C ’est  elle  qui  
 sera  ta  femme,  c’est elle qui  te  ramènera  à Novgorod,  et  tu  seras  de  nouveau  très  
 riche et tu  élèveras une église  en mon honneur. 
 Sadko  exécuta  lés  ordres  de  saint Nicolas  et  brisa  les  cordes  de  ses  guzlis;  il  
 cassa  les  ardillons,  il  laissa passer  les premières,  les secondes et les troisièmes  trois  
 cents  jeunes filles et  épousa  la  belle  Tchernava. 
 Après  le festin,  tous  allèrent dormir,  et  le  lendemain  Sadko  se réveilla  sur  la  
 rive  escarpée du* fleuve Tchernava  à Novgorod.  Il  regarda  autour  de  lui  et  vit  ses  
 vaisseaux  glisser sur le Volkhov  et  ses  serviteurs pleurer  et se lamenter : 
 «  Sadko  est  resté  au  fond  de  la mer  bleue.  »  Mais  Sadko  est  sur  la  rive et. se  
 fait  reconnaître par ses serviteurs. Tous entrent dans  la maison de pierre blanche de  
 Sadko,  où sa femme en joiéle prend par ses mains blanches et  le baise  sur ses  lèvres  
 de  sucre.  Sadko  déchargeaùoutes  les  richesses  de  ses  vaisseaux et  éleva  une  église  
 à  saint Nicolas.  Depuis  ce. temps  Sadko  n’alla  plus  sur  la mer  bleue,  mais  resta  
 paisiblement  à Novgorod.  • 
 Je me suis arrêté complaisamment sur cette chanson de geste, parce qu’elle peint  
 la  vie  des  premiers  Novgorodiens,  ces  hardis  colonisateurs  de  la  Russie.  Cette  
 légende  a  été  immortalisée  par  le  maître  russe Rymski-Korsakoff,  dans  un-poème  
 symphonique,  d’une  polyphonie  et  d’une  poésie admirables,  qui  a été  donné  dans  
 les  grands  concerts  de  Paris.  Dorénavant  le.s  souvenirs  des  exploits  du  héros  de  
 Novgorod ne  vivra plus  seulement dans  l’âme du peuple  russe, mais encore dans la  
 mémoire de tous  ceux qui sont accessibles  au charme  d’une  grande oeuvre d’art.