de cent cinquante kilomètres, désigné par le nom d’Are de Samara, Samarskaïa-
Louka.
Le yrai type des villes opulentes de la Volga inférieure s’incarne en Samara.
Qui a vu Samara les a toutes vues. Les écrivains russes célèbrent ses louanges :
« La Samara d’aujourd’hui est une fleur de luxe qui s’est épanouie sous nos
yeux », d itM. Alabine.
« C ’est une ville d’avenir, dit M. Nemirovitch-Dantchenko, un adolescent
robuste, du sang et du lait, aux yeux duquel tout est rose sous les rayons du
soleil. »
M. Diedlov a une tout autre opinion; selon lui, Samara n’est ni une fleur
épanouie, ni un jeune adolescent, mais une ville opulente encore barbare, spectacle
peu attrayant et pas gai.
Samara s’est allongée sur les bords de la Volga et couvre deux kilomètres de
ses rives. Toute cette étendue est occupée en bas par le premier plan légèrement
incliné, formé par les débarcadères des bateaux à vapeur et des amoncellements
de ballots, de tonneaux et de sacs dominés par des baraques de bois, servant
d’entrepôt; au-dessus s’étage la ville qui regarde la Volga du haut de ses maisons
de pierre brute, non crépie, remplie de traktirs, de cabarets et de bains.
La plage, le long de la Volga, fourmille d’hommes, de chars et de chevaux ; les
chariots sont solides, mais grossièrement façonnés; les hommes hâléspar le soleil,
rougis par l’abus de la vodka, noirs de poussière, le teint verdâtre par l’effet d’une
mauvaise nourriture ; les bêtes sont efflanquées et exténuées.
Tout ce ramassis d’hommes, fait du vacarme, s’injurie et patauge dans la
boue que traversent des ruisseaux nauséabonds venant des entrepôts, des cours et
des rues. Près des débarcadères et le long des rives, sur un espace de plusieurs
kilomètres, halettent les vapeurs, battant l ’eau de leurs roues géantes et faisant
danser des barques énormes et d’innombrables voiliers.
- Tous ces bâtiments portent de lourdes cargaisons,, plongent profondément
dans l ’eau, emportant, d’un bout à l’autre du fleuve, des milliers d’hommes et des.
millions de pouds de laine, de blé, de poisson et de lard. La Volga seule semble
capable de supporter un tel fardeau, toute autre rivière déborderait sous cette
pression.
Voici un énorme steamer dans le genre des vapeurs du Mississipi, haut
comme une maison à deux étages, de trente-deux fenêtres chacun ; à sa rencontre
court un géant de la même taille bondé de voyageurs. Plus loin, à la file indienne
d’immenses chalands sont entraînés par des remorqueurs plats, enfoncés dans l’eau
et noirs comme des choucas ; ils poussent sans cesse des glapissements rauques
qui se propagent au loin sur le fleuve. Entre ces colosses glissent de petits vaisseaux
aux voiles défraîchies, qui s’enflent et couchent le bateau sur le flanc ou
tombent droites ét palpitantes. On se croirait dans un grand port de mer.
On pénètre dans la ville par la haute rive très escarpée du petit tributaire de
la Volga, la Samara; cette rivière est la vraie nourricière de la ville, dont la population
s(’élève à cent mille habitants. La Samara dégèle deux semaines avant la
Volga, et aussitôt des légions de chalands viennent y charger leurs marchandises
en attendant que le grand fleuve leur ouvre sa voie.
Le port de Samara est la source de la richesse de la ville. En gravissant la
rive, on aperçoit des toits formés de poutres noircies et qui sont de plain-pied avec
la rue ; ils recouvrent les baraques des entrepôts de blé, qui surgissent à cette
hauteur des bords de la rivière. On accède à ces baraques par différentes rues, de
tous côtés on peut les remplir de blé, qui est aussitôt directement déchargé dans
les barques. On peut dire que c’est le ventre de Samara; à côté, perpendiculairement
à la Volga, s’allonge la rue, assez jolie, qu’habitent les marchands de blé.
Elle est formée de petits hôtels indépendants, d’un luxe modeste, très propres,
sans. prétention, mais que séparent d’affreux trottoirs et de mauvais pavés. Les
voitures ne peuvent y passer qu’au pas, et l’on préfère la poussière suffocante des
rues non pavées aux cahots douloureux des pierres pointues qui hérissent les autres.
Samara, comme toutes les villes de la Volga, est tirée au cordeau. Ses voies
larges et interminables se croisent à angle droit. Celles qui se trouvent rapprochées
de la Volga sont bordées de maisons de pierre, mais la plupart des construc-
tions_sont en bois ; toutes, indistinctement, ont l’air misérable, surtout les maisons
de pierre, parce qu’elles ne sont pas crépies. ,
Samara n’a pas d’environs et n’en aurait que faire. Un méchant théâtre, une
chétive bibliothèque, un insignifiant journal, y vivotént avec peine. La cathédrale,
commencée il y a trente ans, est encore bien loin d’être achevée. L ’eau, amenée de
très loin, est de si mauvaise qualité, que même les fleurs qu’on arrose jaunissent et
se' sèchent.
L a poussière dans les rues, qu’habitent les rois du blé, peut soùtenir la
comparaison avec celle des déserts africains. Le manque d’air pur et la mauvaise
qualité de l ’eau sont cause de l’apparence maladive de la population de Samara;
aussi chercherait-on vainement dans la foule des promeneurs et des promeneuses
qui se réunissent chaque soir dans le jardin de Stroukov, sur le coteau qui domine
la Volga, un visage frais et des formes gracieuses.
En face de Samará, en vue du jardin de Stroukov, se trouvent les célèbres
Gégoulis, une presqu’île formée par la Volga, ‘regardant l’Orient et s’étendant sur
une surface de cent kilomètres de long et trente de large. C ’est le T y ro l, la Suisse
de la Volga, quoique, en réalité, les plus hautes cimes des Gégoulis ne dépassent
pas la tour Eiffel.
Au milieu des plaines sans fin de la Russie, à peine coupées de collines
insignifiantes et de ravins, les Gégoulis font l’impression d’un relief de vraies
montagnes destiné à un musée, ou d’une miniature. Tout s’y trouve en réduction,