Tout à coup, tous se mettent à danser en chantant :
« Le tsar se promène dans la ville, le tsar cherche sa tsarevna.
— Où est ma tsarevna? Où est la jeune princesse?
— La voilà, la tsarevna; elle agite un mouchoir de soie, elle s’éclaire de sa
bague d’or. Portes, ouvrez-vous, ouvrez-vous toutes grandes ! »
A ces mots, la ronde se divise, un jeune homme et une jeune fille lèvent
haut un mouchoir, qui figure la porte, et la tsarevna passe dessous. Le chant
reprend :
« Fermez vos rangs, rapprochez-vous plus près l’un de l’autre, embrassez-
vous tendrement, toujours plus tendrement. »
Entre les couplets, les chanteurs et les chanteuses s’asseyent autour des tables
et se partagent des noix, de la bière et des friandises. Avant de reprendre leurs
chants, ils arrachent de jeunes bouleaux, en coupent des branches dont ils tressent
des couronnes, puis retournent au village, où ils plantent les jeunes arbres; une
nouvelle ronde se forme, pendant laquelle les jeunes gens, se tenant par la main,
passent sous les bras levés des jeunes filles et chantent :
« Ah! sur l’herbe, sur le gazon, autour d’une grande ville, un jeune gars se
promenait. »
A ces mots, un jeune homme, ou plus souvent une jeune fille, coiifé d’un
chapeau d’homme, sort des rangs et fait fièrement le totïr du khorovod.
« O Tour 1, le jeune gars, le vaillant de la grande ville, invite une jeune
fille à venir se mesurer avec lui sur l ’herbe. »
A cette invitation, une autre jeune fille sort des rangs et vient se placer au
milieu du khorovod.
« O Did Lado 2 ! »
La jeune fille sort à son appel :
« Elle a vaincu le gars vaillant, elle l’a terrassé sur l’herbe. »
A ces paroles, la jeune fille arrache le chapeau du jeune homme (ou de la
jeune fille .vaincue) et lui tire les cheveux.
Le choeur chante :
« Le jeune gars, se relevant, a caché son visage dans ses mains; il a essuyé
ses larmes amères, il n’ose pas conter sa mésaventure à ses amis. O Tour , Did
L ad o ! »
Dans plusieurs localités, ces couronnes sont conservées Ijlsqu’à la Pentecôte;
dans d’autres, on les jette dans la rivière pour voir celles qui surnageront et
celles qui seront submergées, emblème de la longueur de la vie de celui qui les
lance. Enfin celles qui devancent les autres promettent la chance : ce sont jeux de
frères et de soeurs.
1 . Évocation d'une ancienne divinité païenne.
2. Évocation d’une ancienne divinité païenne.
L A VOLGA . 67
Les amoureux ont leur tour; ils lancent en même temps leurs couronnes, et si
elles-se rejoignent, c’est de bon augure. Le ruban qui attache ces guirlandes est
précieusement conservé toute la vie et sert à l ’ornement des cierges au mariage
des jeunes filles.
Malheureusement, ces gracieuses coutumes n’ont pas survécu seules ; le
moujik a hérité aussi des anciens temps de barbares superstitions, dont il aurait tout
avantage à se délivrer. La croyance aux jours néfastes, pendant lesquels c’est un
péché de travailler, est si fortement enracinée qu’elle entrave sérieusement les
affaires. Ainsi tous les travaux
des champs sont réglés d’après B p S; '----. ' 'VjV* " j; .
. lés saints; s’agit-il d’ensemencer,
! ïÆ æ
de faire la moisson, de faner, le
moujik ne s’inquiète nullement
des conditions particulières du
sol ét du climat de la localité;
c’estTalmanach qui décide.
La foi à f t sprçier Ä s t pas
moins tenace. D’ordinaire, c’est
un vieillard ' intelligent et rusé,
mais plus, souvent encore une
vieille femme méchante et silencieuse.
Le moujik témoigne à ces
gens un grand respect extérieur;
mais, au fond de son coeur, il
les redoute et il les hait. Sou-
vent des cas d’envoûtement don-v
nent lieu à des scènes* sauvages
dont voici un exemple frappant :
Deux Tatars de Kazan.
Dans le village de Bouzoulina, près de Moscou, Daria Wassilievna, une vieille
femme de soixante-dix ans, qui vivait de charité, vint demander l’aumône à une
paysanne nommée Loukeria. Cëlle-ci coupa un morceau de pain et l’offrit à
Daria ; au moment où la mendiante avançait la main pour le prendre, Loukeria
crut reconnaître à son regard qu’elle avait le mauvais oeil.
La paysanne poussa un cri et tomba par terre,- écumante, se tordant sur le sol
dans une crise d’épilepsie, et criant ; — Malheur à moi ! malheur à moi ! Daria m’a
- jeté un sort !.. i
Des voisins accoururent et en quelques minutes le village rassemblé sut que
Loukeria était tombée victime des maléfices de Daria. Touslês habitants de Bouzoulina
se réunirent devant l’isba de Loukeria et/!|înrent conseil. Quel châtiment
devait-on infliger à la sorcière î Après de longs débats, il fut décidé qu’avant de la