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 ne  relevât  que de  lui ;  à dater de  ce moment elle  fut  placée  sous  l'autorité  du tsar  
 et  administrée  par  un  collège  de  prélats  et  de  fonctionnaires  présidé  par  un  
 métropolitain.  Ce  collège reçut  le nom  de  Très Saint-Synode  dirigeant.  En  ce  qui  
 concerne  les  fonctions  extérieures  du  pouvoir  de  l’Église,  le  tsar  les  exerce plus  
 pleinement  que le  pape,  c’est lui qui nomme  et  destitue les  prêtres  à tous  les degrés  
 de  la  hiérarchie  ecclesiastique,  car  ils  lui  sont  soumis  àu  même  titre  que  les  
 laïques.  Mais  sur  les  questions  de  doctrine,  le  tsar,  bien  que  chef  absolu  de  
 l’Eglise  orthodoxe,  ne  peut  se  prononcer  lui-même  et  doit  consulter  le  Saint-  
 Synode  et  les patriarches  d’Orient  pour  y   apporter  la moindre  modification.  Un  
 trait  significatif  de  l’organisation de  l’Église  orthodoxe  est  que  le  haut procureur  
 du Synode est  un membre laïque,  le  fondé  de pouvoir  du  tsar  et  l’interprète  de  sa  
 volonté. 
 Chaque  gouvernement,  en  Russie,  a  son  évêque,  chaque  évêque  a  sous  sa  
 direction  un  consistoire  composé  de  fonctionnaires i^aïques*  et  le  bas  clergé  est  
 sous la  dépendance absolue  de  cette  autorité épiscopale.  Les rapports de Farkhierei  
 de  Pensa,  Ambroise,  avec Alexandre  Ier  montrent  l’indépendance  très  réelle  de  
 l’autorité  ecclésiastique  en  tout ce  qui  touche  à  la  foi.  Cet archevêque  administrait  
 son  épiscopat  avec  une  telle  sévérité  que  ses  subordonnés  l ’avaient  surnommé  
 Ambroise  le  Terrible.  Il  va  sans  dire  qu’il  ne  pouvait  rien  contre  les  autorités  
 laïques  de  Pensa,  mais  il  ne  laissait  échapper  aucune  occasion  de  les  reprendre  
 et  de  leur  faire  sentir  son  autorité.  Ainsi, pendant  les  offices  qu’il  célébrait  à  la  
 cathédrale,  il  ne  se  gênait  nullement  pour  faire  des  observations  au  gouverneur,  
 au  chef  de  police  ou  à  n’importe  quel  dignitaire  qui  se  permettait  la  moindre  
 marque  d’inattention. 
 En  1824,  l ’empereur Alexandre  Ier  annonça  son  intention  de  passer  à Pensa.  
 Longtemps  d’avance,  la  ville  commença  ses  préparatifs  pour  recevoir  convenablement  
 le  tsar,  les  autorités  firent  nettoyer les rues,  réparer  et  embellir  les divers  
 édifices;  seul,  Farkhierei  se  dispensa  de  restaurer  le  palais  épiscopal  qui  tombait  
 en  ruine,  et  ne  daigna  même  pas  faire  enlever  la  poussière  accumulée  devant  
 ses  fenêtres.  Le  gouverneur  délégua le  chef  de  la  police  auprès  de  l’archevêque  
 pour que  la  place  qui  s’étendait  devant  son  palais  fût  balayée  avant  l’arrivée  de  
 l’empereur. 
 ;  Très bien, répondit l’arkhierei,  on peut  enlever  ces ordures; mais  comment  
 fera-t-on  pour  nettoyer  les  actes  malpropres  que  toi  et  le  gouverneur  vous  
 commettez  sans  cesse?  On  aurait  beau  vous  enfouir  sous  terre,  vos  souillures  
 subsisteraient. 
 Enfin*  Alexandre  1er  fit  son  entrée  à  Pensa.  Les  autorités  laïques  avaient  
 décidé  de  îe  recevoir  sous  le portique principal  de  la  cathédrale,  mais  l’arkhierei  
 s y   opposa et  exigea  que  la réception  du monarque  eût  lieu sous  la  porte  méridionale. 
   C ’est là qu’il  vint l’attendre avec  tout le  clergé rangé  autour de lui  et  bannières  
 déployées. 
 Le  gouverneur  et  le  chef  de  la  police  eurent  beau  lui  représenter  que  l’empereur  
 aurait à  gravir  un  escalier  très raide,  il  répliqua brièvement : 
 Je  suis  Farkhierei;  moi  seul  ai  le  droit  de  prendre  les  dispositions  qui me  
 conviennent ! 
 Le  cortège  se  divisa  en  deux  groupes,  et  le  tsar  se  dirigea  directement  
 du  côté:  des  b a n n iè r e s .  Il  
 pensa  néanmoins  qu’on  avait  
 dû  lui  préparer  une  entrée  
 plus  commode  et  il  fit  observer  
 à  l’archevêquè qu’il avait  
 mal  aux  jambes  et  qu’il  ne  
 tenait  pas  à  gravir un  escalier  
 aussi  raide; 
 —   Mais,  pour  danser,  les  
 jambes  ne  vous  font  pas  mal ?  
 répondit  Farkhierei.  Et  il  conduisit  
 quand  même  l’empereur  
 par cet  escalier. 
 Lorsqu’ils  arrivèrent  sous 
 le  porche,  Alexandre  1er,  avant 
 de  recevoir  la  bénédiction  de 
 l’archevêque,  alla baiser  l’image 
 sainte que tenait un prêtre. Mais, 
 à  la stupéfaction  des  assistants, 
 Ambroise arrêta le  tsar  et  lui  fit 
 signe  qu’il devait d’abord saluer 
 I   H 5  *7  y 1  I   Le Métropolite  de  Saint-Pétersbourg, 
 jusqu a  terre. 
 Le  tsar  s exécuta et  se  dirigea  vers  l’icône ;  Farkhierei  l’arrêta de nouveau  et  
 commanda  : 
 Trois  fois I 
 Alexandre Ier  fit  encore deux  saluts  avant  d’aller  baiser  l ’icône. 
 L ’office  terminé,  en  sortant de  la  cathédrale,  l’empereur  entra dans les  appartements  
 préparés,  à  son  intention, au palais  du gouverneur.  Comme  il  se  disposait  
 à  prendre  quelque  repos,  tout  à  coup  les  cloches  des  églises  sonnèrent  à  toute  
 volée. 
 C ’était  Farkhierei  qui  avait  jugé  opportun  de  venir,  à  cette  heure  tardive,  
 asperger  d’eau  bénite  l’appartement  du  tsar  et  qui  s’y   rendait  en  procession  
 solennelle.