Sadko retourna à Novgorod où immédiatement il fut invité à une fête, il
charma' tous les convives par ses chants et sa musique et on le régala de vin. Quand
Sadko eut un peu abusé des libations, il dit :
— Je connais un. trésor miraculeux; je sais que le lac Ilmen contient des
poissons aux écailles d’or.
Et comme les marchands soutenaient le contraire, il ajouta :
—- Parions, je suis un pauvre guzlar, je ne possède rien et je parie ma tête;
qu’on me la coupe, si je ne dis pas la vérité. Mais vous marchands, vous êtes riches,
vous allez parier trois magasins de vos plus belles marchandises.
Les marchands étaient si sûrs que le guzlar radotait, qu’ils acceptèrent sans
hésitation le pari.
Tous se dirigèrent vers le lac Ilmen, on jeta le premier filet et l’on retira un
poisson aux écailles d’or. Un autre filet ramena encore des poissons aux écailles
d’or, le troisième de même.
Les marchands donnèrent à Sadko trois magasins de leurs plus belles'marchandises,
et le guzlar se transforma en négociant; ses opérations commerciales
furent toujours heureuses et il devint le plus riche hôte 1 de Novgorod.
« Il orna sa maison de pierres blanches, comme dans le ciel ; dans le ciel, un
soleil, dans ses chambres, un soleil; dans le ciel, la lune, dans ses chambres, une
lune ; dans le ciel, des étoiles, et dans sa chambre, des étoiles. »
Sadko donna un grand festin et invita les notables de Novgorod; on but beaucoup
et tous les convives commencèrent à se vanter, l’un de ses richesses; l ’autre de
sa force; celui-ci de son cheval, celui-là de sa jeune femme, Seul Sadko ne Se vantait
pas. Ses hôtes lui demandèrent la raison de sa modestie ; il répondit :
“ De quoi voulez-vous que'je me vante? Ne voyez-vous pas que mes trésors
sont inépuisables? N ’admirez-vous pas mes riches habits de couleur... les innombrables
serviteurs que j ’envoie où il me plaît; enfin, puisque vous voulez que je me
vante, je parie qu’avec mes trésors j ’achèterai toutes les marchandises de Novgorod,
les bonnes et les mauvaises.
Les convives de Sadko acceptèrent le pari. Le lendemain, Sadko réveilla ses,
braves serviteurs, leur donna de l’argent sans compter et les envoya par les rues
pour acheter toutes les marchandises qu’ils trouveraient, et lui-même se rendit
dans, la Maison des hôtes et devint acquéreur de tout ce qu’elle contenait. Mais le
lendemain il y avait à Novgorod déjà deux fois plus de marchandises.
De nouveau Sadko acheta tout le contenu des magasins, mais le lendemain
il y avait à Novgorod déjà trois fois plus de marchandises, et Sadko
se dit :
« Non, je n’achèterai pas toutes les marchandises du monde qui arrivent à
i . Chez les anciens Slaves, lés marchands s’appelaient des hôtes, et encore aujourd’hui, les grands
bazars s’appellent la Maison des hôtes.
N O V G O R O D L E G RAND. 127
Novgorod ; je suis un riche marchand de Novgorod, mais le grand Novgorod est
plus puissant que moi. »
Il paya son pari, construisit trente grands vaisseaux, les chargea de marchandises
et s’embarqua sur le Volkhov, et de ce fleuve dans le lac de Ladoga et du lac de
Ladoga dans la Néva et de la Néva dans la mer bleue. Partout il vendait les marchandises
de Novgorod et gagna tant d’argent qu’il remplit quarante tonneaux d’or.
Il retournait dans sà ville natale, quand la mer bleue se souleva, le vent déchira les
voiles des vaisseaux qui ne pouvaient
plus avancer ep menaça de les mettre
en pièces.
— Oh ! mes amis, mes seryiteurs !
dit alors Sadko^ nous avons navigué
pendant des années sur la mer et nous
n’avons pas payé de tribut au tsar de
l’eau ! Prenez un tonneau plein d’argent
pur et jetez-le dans les flots. L ’ordre de
Sadko fut exécuté, mais la tempête ne
se calma pas et les vaisseaux restèrent
en péril. La mer ne s’apaisa point,
quand les serviteurs du héros y jetèrent
un tonneau d’or. Alors Sadko dit :
— Evidemment le tsar de Ta mer
demande le sacrifice d’un être vivant.
Préparez des tablettes de spirée, écrivez
dessus chacun votre nom, moi j ’inscrirai
Pèlerines moscovites.
le mien. sur une tablette d’or, et celui dont le nom disparaîtra sous l’eau
devra se jeter dans la mer. Tout fut fait selon l ’brdre de Sadko, et les tablettes de
ses serviteurs flottèrent en rang comme des garrots, seule la tablette du marchand
Sadko, tout droit, comme une clé, alla au fond.
Trois fois Sadko consulta le sort et chaque fois seule sa tablette fut engloutie.
— Oh! mes frères, mes braves serviteurs, dit-il, le tsar d e là mer réclame le
riche Sadko lui-même. Apportez-moi mon encrier ciselé, ma plume de cygne et du
papier aux armes de Novgorod.
Sadko écrivit son testament, léguant tel bien aux pauvres, d’autres à sa jeune
femme et le reste à ses braves serviteurs ; puis il dit de nouveau :
— Oh! mes frères, mes serviteurs, donnez-moi mes guzlis, je veux les emporter
avec moi dans la mer bleue ; jetez sûr l’eau une planche de chêne, au moins sur
cette planche il me sera plus doux de recevoir la mort dans la mer bleue.
Les vaisseaux partirent. Sadko resta seul sur la planche de chêne; il s’endormit
et se réveilla le lendemain au fond de la mer bleue. A travers l’eau il voyait le beau