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 Alors l’adjoint,  oubliant  qu’il  représentait  l’autorité-,  s’empara  d’une  planche  
 et  en  frappa  la pauvre  femme  jusqu’à  ce  que  le bois se  fendît en  deux. 
 L ’isba  de  Loukeria  s’était  remplie,  personne  ne  restait  inactif;  hommes  et  
 femmes allongeaient qui un coup  de  pied,  qui  un  coup  de pelle  ou  de  fourche  à  la  
 sorcière. 
 Une  jeune femme  trouva  des briques  tassées dans  un  coin et les  lança  à  la tete  
 de Daria ;  chaque pierre  faisait une  blessure  d’où  le  sang  ruisselait.  Le petit-fils  de  
 la vieille femme,  un garçon de huit ans à  tête  de  chérubin,  de ses  deux mains lança  
 une  lourde  brique  à  sa  grand’mère,  pour  lu i'¿ o n t re r   qu’il  ne  voulait pas  d’une  
 sorcière  pour  aïeule. 
 —   Chrétiens,  implorait  Daria,  ayez pitié  d’une  pauvre  femme !  Dieu  vous  
 punira... 
 —  Nous  t’ôterons  l’envie  d’envoûter  d’honnêtes  femmes  !  disaient  les  forcenés  
 en  redoublant de mauvais  traitements. 
 Enfin,  comme  la  chambre  basse  regorgeait  de  monde  et  qu’on  y   étouffait,  
 deux  gars  saisirent la  vieille,  l’un  par les jambes,  l’autre  sous les  bras,  et la jetèrent  
 au  fond  du  fossé  qui  bordait  le  chemin. 
 Cette  fois ils  s’arrêtèrent pour reprendre haleine;  Daria  s’était  évanouie. 
 —   Mais  nous  n’avons  pas  vu  sortir  de  son  corps  le  mauvais  esprit?  dit  le  
 mari  de  Loukeria. 
 —  T u   as  raison,  frère,  répondit  l’adjoint;  c’est moi qui  lui ferai  montrer  ses  
 cornes ! 
 Il  courut  vers  la  haie  et  eut  bientôt  formé  une  verge  de  longues  branches  
 flexibles;  il  arracha  la jupe en  loqués  de  la  vieille  femme  et,  découvrant  son corps  
 décharné, se mit à  la fustiger à  tour de  bras.  Quand il fut  fatigué,  d’autres moujiks  
 prirent  sa  place,  brandissant  la  verge  ensanglantée;  mais  le  mauvais  esprit  ne  
 sortait pas. 
 L a   vieille  femme  poussa  un  gémissement,  la  douleur  avait  ramené  la  sensibilité  
 dans  ses  membres  contusionnés  et  ses  plaintes  se  succédèrent  sans  
 interruption. 
 Une  voisine  qui  accusait  la  sorcière  des  malheurs  qui,  depuis  quelques  
 semaines,  s’étaient abattus sur  sa maison,  dit  : 
 Moi,  je saurai te  faire taire. 
 Elle  s’empara d’un  fléau  et  se  mit  à  battre  le  squelette  animé  étendu  devant  
 elle,  comme  si  c’était du blé  mûr. 
 La   vieille  se tut,  elle  n’était pourtant  qu’inanimée. 
 A   cette  phase  du  supplice  de  la  vieille  femme,  un  orage  terrible  éclata ;  les  
 éclairs,  la  pluie,  la  grêle se mêlaient,  et  les  coups  de  tonnerre roulaient sans trêve,  
 avec  un bruit  effrayant.