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 de  ses  frais plus  tard  sur  le produit  de la pêche.  Il occupe la place d’honneur,  et  le  
 second  ataman  sert  la compagnie.  A   partir  de  ce moment  tout  le monde  obéit,  et  
 au  jour qu’il  fixe,  nous  venons  chez  lui  pour  coudre  le  filet ;  chacun  apporte  ses  
 cinquante mètres,  on  les assemble  en  quatre  ailés, deux  par  filet. 
 Enfin,  dès  que  le  lac  est  gelé,  nous  nous  réunissons  de  nouveau  chez  notre  
 premier ataman et,  après avoir dîné avec lui, nous allons sur la glace et nous faisons  
 notre  première  pêche,  la pêche  d’essai,  dont  nous  ne  vendons  jamais  le produit;  
 nous  le mangeons nous-mêmes. Cette  fois,  l ’ataman  nous donne  rendez-vous  pour  
 la  vraie  pêche.  Comme  il  est  le maître  et  qu’il  peut  même  nous  battre  à  mort,  
 c’est  lui  qui  dit  au mokriak à quel  prix  doit  être  vendue la pêche,  et  celui-ci  n’ose  
 pas  la vendre  un copeck  de moins. 
 '  —   Et  qui  est  le  mokriak ? 
 ■fit ^   Chacun de nous  à  son  tour,  excepté les atamans et  les reltchiks;  le mokriak  
 est  chargé  de  la  vente  du  poisson,  il  doit  rester  deux  jours  et  deux  nuits  sans  
 accépter un  rabais.  Ce  n’est  que  le  troisième  jour  qu’il peut  emporter  la  pêche  et  
 baisser  les  prix.  Il  garde  chez  lui  tout  l’argent,  l’àtaman  n’a  pas  le  droit  d’en  
 toucher un  copeck; mais  s’il veut,  il  peut  faire  cadeau de  toute  la  pêche. 
 —  Quel  étrange arrangement !  s’écria  le voyageur,  et  si  l’ataman  s’entend avec  
 un  compère pour dire qu’il  fait cadeau de la pêche,  tout  en  la vendant à son profit ? 
 —   Il  ne  fera jamais  cela!  répondit  avec  conviction  le  pêcheur,  il  ne  le  fera  
 pas  parce qu’il  a  baisé  l’icône. 
 Quand  les  mokriaki  ont  ramassé  beaucoup  d’argent,  l’ataman fixe  le  jour  du  
 partage.  Il  s’assied  devant  la  table  et  nous  restons  tous  debout.  A   son  appel!  
 chacun  place  devant  lui  l’argent  qu’il  a  ramassé.  Il  additionne  la  somme,  en  
 prélève  une partie  pour  se  rembourser  les  frais  d’àchat  des  folles,  puis tant pour  
 l ’église,  tant  pour  les  dîners  et  tant  pour  Peau-de-vie  que  nous  boirons.  Il  pourrait, 
   si  cela  lui  faisait  plaisir,  prendre  tout  l’argent  pour payer  la  vodka,  personne  
 ne protesterait.  Ce  qui  reste  est distribué  par  lui  à  tout  le monde  en  parts  égales,  
 y   compris  la sienne. 
 Le  dernier  partage  a  lieu  le  jour  du  carnaval;  après  qu’il  a  rendu  à  chacun  
 ce qui  lui  revient  sur  le  produit  de  la  pêche,  l’ataman  se  lève  et  dit  : 
 —  Mes  frères,  voulez-vous  faire  la  pêche  avec moi  l’année prochaine ? 
 Si  les  pêcheurs  ne  sont  pas  contents  de  lui,  ils  lui  disent  à  tour  de  rôle  ses  
 vérités;  puis  chacun  prend  son morceau de  filet  et  rend  les  folles;• l ’association  est  
 dissoute ;  mais  si,  au  contraire,  ils  sont  satisfaits,  ils  offrent  à  l’ataman  de  l’eau-  
 de-vie  et  lui,  de  son  côté,  les  régale.  Puis  ils  reprennent  la  pêche  en  commun  
 après  les  fêtes  jusqu’à  ce  que  la  glace  fonde,  au  commencement  du  printemps. 
 M. Yakouchkine,  trouvant  cette  association  de  pêcheurs  curieuse  à  étudier  de  
 plus  près,  voulut  assister  à une pêche.  Le  lendemain  matin,  il  partit  en  traîneau 
 sur  le lac congelé  et  après avoir parcouru trois  kilomètres,  il  fut  étonné de  se voir  
 en présence  d’un  rassemblement  considérable,  plus  de huit cents  traîneaux  étaient  
 réunis  là;  tous  étaient  occupés,  quoique  fort  diversement,  par  des  hommes,  des  
 femmes  et  surtout  par  des enfants,  gamins  et  fillettes. 
 . Qu?attendent  tous  ces  gens ?  demanda  le  voyageur  à  son  guide. 
 •    Ge  sont  les  acheteurs  de-  poissons  ;  ils  viennent  ici  de  quinze  ou 
 vingt  kilomètres  à  la  ronde. 
 Cette  foule  était  des  
 plus  bruyantes,  bien  qu’il  y  
 fût  peu  question  d’affaires  :  
 les  enfants  jouaient  et  les  
 grandes  personnes  parlaient 
 Pêcheurs 
 sur  la Volga. 
 de  choses  indifférentes.  Un  moujik,  le  menton  orné  d’une  épaisse  barbe,  vêtu  
 d’une  demi-pelisse  de  mouton  neuve,  s’agitait  plus que  les  autres. 
 —   Tous  les  atamans  sont-ils  déjà  sur  le  lac?  demanda-t-il  d’une  voix  de  
 stentor. 
 —   Tous  sont  déjà  à la pêche,  lui  fut-il  répondu. 
 —  Alors,  cria  le moujik,  on  ne  donnera  que  dix  copecks  par  traîneau  pour  
 s’en  débarrasser. 
 —  Comment!  rien  que  dix-copecks?  cria-t-on  dans  la  foule,  la  pêche  est  
 bonne,  il faut  au moins  trente copecks. 
 —   Que  signifie  ce marché ?  demanda M.  Yakouchkine. 
 —   C ’est  la  coutume  ici.  Tous  les  acheteurs  de poissons  des  environs du  lac  
 viennent  ici  et,  pour  les  dédommager  de  leur  course,  on  leur  donne  quelques  
 copecks,  car  tout  le  monde  n’est pas  admis  à  l’achat  du  poisson.  On  va  bientôt  
 décider le nombre  des  acheteurs  et  l ’on  tirera  au  sort.  Tous  les  autres,  tous  ceux  
 qui  sont  sur  cette  place,recevront  dix  copecks;  toi-même,si  cela  te  fait  plaisir,  tu  
 peux  réclamer  dix  copecks.