vent, et le mobilier se composait de simples bancs recouverts de drap cramoisi. Un
seul fauteuil de noyer était réservé au tsar et à la tsarine et constituait un objet de
luxe d’un raffinement inouï.
La table était à l’avenant, la vaisselle ordinaire était d’étain, et le menu n’était
pas plus compliqué ; des viandes de boeuf, de porc, de mouton en formaient les
plats de résistance ; le superflu était représenté par des gâteaux pétris de farine de
qualité inférieure, et le grand luxe de la table tsarienne consistait à dorer par place
ces gâteaux ou à entourer l’os du gigot d’un papier doré.
Toute la magnificence des tsars se résumait dans la richesse des harnachements
de leurs chevaux et dans la somptuosité orientale des vêtements dont ils
se paraient pour se montrer à leurs sujets.
Les tsarines mettaient toute leur coquetterie à porter des manches de chemise
d’une longueur démesurée ; lorsque ces appendices absorbaient une vingtaine de
mètres d’étoffe, elles se tenaient pour satisfaites, et le peuple admirait, peut-être en
murmurant in petto, le luxe effréné de leurs souveraines.
Leur sort d’ailleurs n,’était guère enviable ; enfermées la plupart du temps dans
le terem, le gynécée russe, elles étaient privées de toutes distractions au dehors.
Il ne leur était pas même permis, dans cet heureux temps où la bicyclette était
inconnue, de monter à cheval ou de sortir en char découvert. Quand elles voulaient
• se promener, elles étaient obligées de s’enfermer dans des sortes de grandes boîtes
sur roues, sans fenêtres et sans siège, mais tapissées d’édredons qui devaient
amortir pour les malheureuses souveraines les cahots de la route. C ’est ainsi
qu’elles voyageaient étendues et dans l’obscurité.
Avec Pierre le Grand, tout changea comme par enchantement. Pierre comprit
d’emblée que, pour répandre le luxe européen en Russie, il fallait d’abord en faire
profiter les femmes. 11 commença par organiser des réunions où les Moscovites,
jusqu’alors sévèrement enfermées dans le gynécée, pouvaient s’entretenir librement
avec les hommes.
Il va sans dire que la coquetterie féminine s’éveilla et les rivalités stimulant le
goût inné des femmes pour la parure, ce fut à qui serait la plus belle et la plus
remarquée. Comme il n’y avait à Moscou qu’une coiffeuse qui sût échafauder avec
grâce les monuments en cheveux à la mode du jour, souvent les nobles dames
moscovites, en prévision d’un bal, se faisaient coiffer plusieurs jours à l’avance
et dormaient debout pour ne pas compromettre l’équilibre de leur édifice
capillaire.
Catherine Ir% dont la couronne est restée comme un modèle de luxe barbare,
eut un sacre dont la magnificence égala presque les cérémonies qui consacrèrent la
souveraineté de Catherine la Grande.
Pierre le Grand ne réussit que trop pleinement à faire sortir la femme russe du
terem. Depuis Catherine Ire, plusieurs impératrices se succédèrent sur le trône de
Russie régnant en leur propre nom ; toutes eurent deux traits en commun : elles
cultivèrent l’amour et le luxe.
7 C ’est sous l’égide de ces impératrices que la cour russe se façonna sur le
modèle de Versailles. A partir de ce moment on vit l’argent et l’or briller sur les
habits des courtisans et c ’est alors qu’on établit des écuries somptueuses et des
carrossés, dont plusieurs ont figuré aux fêtes du couronnement de Nicolas II.
Les plats d’étain des premiers tsars furent remplacés par des services d’argent
massif et de vermeil. Les maîtres queux français substituèrent l ’ordinaire de
A M o s co u . — Débordement de la Moskova.
Louis XIV aux ragoûts de mouton et de boeuf. Le champagne supplanta le kwas ;
et lorsque les émigrés, fuyant la Révolution, se réfugièrent à la côur de
Catherine II, ils ne se trouvèrent point trop dépaysés.
C ’est encore à cette époque que remonte le cérémonial des couronnements
dont je donne un peu plus loin la description détaillée.
Quelques jours avant le couronnement, le tsar quitte Saint-Pétersbourg et se
rend à Moscou, où il réside dans le palais Petrovski.
Le palais est en dehors de l’enceinte de Moscou, son architecture n’offre rien de
saillant; il est d’ailleurs récent, ayant été rebâti en 1840, après un incendie. C’est dans
ce palais que Napoléon fit une halte, lorsqu’il s’enfuit devant l’incendie de Moscou.