beaucoup plus proche des temps d’Ivan le Terrible et de la Russie asiatique que
de l’Europe civilisée.
Aussi nous garderons-nous d’entrer dans' l’empire du tsar par Saint-
Pétersbourg ou Odessa, villes cosmopolites, de physionomie plus américaine que
russe, mais nous pénétrerons au coeur même de la Russie en allant droit au fleuve
immense qui est son artère vitale, sans laquelle ni Saint-Pétersbourg, ni même
l’antique Moscou n’auraient joué dans l ’histoire de l’humanité le rôle important qui
leur est dévolu.
En France, nous disons « la Seine », « le Rhône », « la Loire », tout bonnet
ment, sans songer à joindre à ces noms des épithètes caressantes ; mais un Russe
ne dira jamais « la Volga » tout court, il ajoutera Volga Matouchka, notre
petite mère la Volga. La et non le Volga, car ce fleuve personnifie l’élément
féminin; c’est à sa mamelle puissante que la plus grande partie de la Russie
s’abreuve et puise la fertilité et l ’abondance.
Le moujik lui porte un peu de cette tendresse filiale que l’homme conserve
toutes sa vie à celle qui l’a nourri; sa gratitude s’épanche dans plus de mille
proverbes^-qui tous célèbrent les mérites incomparables de la Volga, sa profondeur,
la rapidité de son courant, ses eaux poissonneuses.
Les poésies populaires ne tarissent pas en louanges et le nom de la rivière
chère se mêle à celui des héros de la Russie; il se retrouve dans tous les grands
événements de l’histoire nationale, et c’est toujours à la Volga chérie que revient
le beau rôle.
Cependant ce fleuve majestueux, sans rival en Europe, qu’on ne peut comparer
qu’aux vastes cours d’eau de l’Amérique, et qui, dans les 3,200 verstes de terrain
qu’il arrose sur son parcours, passe des plaines arides du Nord, où ne poussent
que des Sapins ’ rabougris; ravagés par les vents, dans les jardins luxuriants du
Midi, où ses flots profonds entraînent sur leur passage les ceps qui ploient soüs le
poids des grappes mûres, ce fleuve a des origines humbles jusqu’à l’insignifiance.
En cela encore, il reflète fidèlement l ’image de la patrie.
La Russie ménage à chaque pas des surprises à l’explorateur ; dans la plaine
ingrate, où tous les efforts du moujik ne feront pas lever un grain de blé, l’oeil d’un
chimiste découvrira dans le pan d’un vieux mur écroulé les parcelles d’un minerai,
qui révèle les richesses incalculables énfouies dans le sein de cette terre inféconde,
car c’est le pays-du monde où le sol dérobe le plus jalousement ses trésors et où il
est imprudent de se fier aux apparences.
La Volga n’est à sa source qu’un simple puits quadrangulaire, alimenté par les
marais et les petits lacs qui couvrent le versant sud-est des hauteurs d’Alaoun
dans l’oujesd Ostachkow du gouvernement de Tver. L ’eau de ce. puits est bourbeuse
et malsaine, mais on serait mal venu de le dire aux habitants du pays qui
ont surnommé cette source le « Jourdain de la Russie » et qui déclarent que son