Je profitai de ma visite à M. l’agent consulaire pour le prier d’aviser aux moyens de
me donner des fonds pour le paiement de mes dépenses de logement et de nourriture,
ne voulant pas laisser de dettes après moi. Il me témoigna son regret de ne pouvoir
satisfaire à ma demande.
J'avoue que je ne me serais jamais attendu qu’un officier de la marine royale, naufragé
sur les côtes d’Afrique, muni de ses papiers, ne dût espérer secours ni assistance de
l’agent consulaire de sa nation. Mieux eût valu pour moi qu’il n’y en eût pas eu au Cap;
je me serais adressé au gouverneur, qui, je n'en doute pas, m’eût donné les moyens de
me vêtir ct de me rendre dans ma patrie.
J’eus beau mettre sous les yeux de M. Delettre mes papiers et mon livret qui attestaient
que le gouvernement m’était redevable de plus d’une année d’appointements, il
refusa de se rendre à ma demande. J’eus dès-lors recours à M. Barry, qiii m’avait fait
offre de service à Rhenostes-Fonten. A cette époque, je le remerciai et n’acceptai point,
ne prévoyant pas que je dusse éprouver de semblables difficultés de la part de l’agent
consulaire. Qu’il me soit donc perinis de consigner ici ma reconnaissance pour lui de ce
service signalé dans une circonstance si difficile.
Toutes ces démarches ne sont-elles pas pénibles pour un serviteur du roi de France?
Celui dont je devais le plus attendre est celui qui a fait le moins pour moi. Si le matelot
Bâillon avait été abandonné à lui-même, c'eiût été un serviteur perdu pour la France,
car n’ayant aucune ressource, il aurait été forcé de prendre du service à l’étranger pour
ne pas mourir de faim.
Ayant encore du temps devant moi avant de partir pour l’Europe, je me remis en
route pour visiter les autres environs du Cap qui me restaient à voir. En allant au Petit-
Constance, je passai par les charmantes habitations de M. Van-Reanen et de M. Cerf à
déux lieues du Cap. A peu de distance de là est Neuwland, maison de campagne du
gouverneur, et peu après nous traversâmes le village de Wynberg.
Ce village, dont la plupart des maisons sont très-basses et couvertes en chaume, est
généralement habité par la classe indigente. Il y a dans les environs de très-belles
maisons où vont souvent des personnes de la ville, qui veulent jouir pendant l'été des
agréments de la campagne, et des convalescents qu’un air pur et frais doit rappeler à la
santé.
De là au Petit-Constance, la route est bien loin d’offrir le môme attrait que jusqu’ici.
Le Petit-Constance, voisin du grand, habité par madame veuve Colin, est une propriété
non seulement riche, mais encore fort agréable. Nous y vîmes les vignes dont le
vin jouit d’une si grande réputation en Europe. Ces vignes ne croissent que dans un
terrain qui leur est propre, car on a fait l’essai de planter des ceps de la même vigne
dans un champ voisin, et on n’est pas parvenu à extraire de cc raisin du vin de la même
qualité. Lorsque nous visitâmes le cellier, on nous fit goûter de deux espèces, rouge et
blanc, de cet excellent vin , qu’on ne peut mieux comparer qu’à notre vin de Lunel, qui,
sans faire tort au Constance, est aussi agréable
t îl y a dans quelque !s des habitations du Drakenstein des vi X de bonne qualité-
Nous vîmes là les noms des officiers de la frégate la Cléopâtre, écrits en gros caractères
sur les poutres. On y tient un album sur lequel ceux qui viennent visiter cette habitation
inscrivent aussi leur nom.
On fait au Pelit-Constance de 3o à 5o leggers de vin par an. La legger contient 800
bouteilles. Le vin de cette propriété est plus estimé que celui du Grand-Constance, dont
le rapport n’est que de 20 à 4o leggers.
Après avoir cassé une croûte de pain noir, et bu un petit verre de vin, nous nous
remîmes en route pour Simon’s-Bay.
Quelque temps avant d’arriver à la baie,-nous longeâmes l’étang de Santflé, qui communique
à la mer. La ville de Simon’s-Bay, bâtie sur le versant d’une haute montagne,
est bien loin d’être jolie. On a été forcé, pour construire des maisons en cet endroit, de
faire des coupures dans la montagne, travail pénible et dispendieux. Mais la baie étant
sûre en toutes saisons, il a été urgent d’y former un établissement. Cette ville n’a
d’autres ressources que les affaires commerciales qu’elle peut faire avec les bâtiments
qui viennent y relâcher. Elle possède un arsenal pour la marine royale, qui n'offre vraiment
pas assez d’intérêt pour qu’il en soit parlé. L’atelier de M. Piston à l’île de
France, qui est la propriété d'un particulier, est bien mieux approvisionné que celui-ci,
qui appartient au gouvernement.
Immédiatement après notre retour au Cap, j’entrepris une nouvelle course à la montagne
de la Table, avec Bâillon. Muni de vivres et de mon fusil, et après m’être informé
de la route à tenir, nous partîmes à quatre heures du matin , avant que le jour eiit paru.
Nous passâmes derrière les casernes pour aller gagner nn clair ruisseau qui descend
de la montagne. Nous le suivîmes jusqu’à ce que nous fûmes arrivés à un moulin que
nous laissâmes à notre droite, pour nous rendre à un petit bois de protea argentea.
Nous parvînmes jusque-là sans beaucoup de fatigue ; mais ensuite plus nous avancions ,
et plus les difficuîtés s accroissaient. Nous nous arrêtions souvent pour nous reposer,
pouvant à peine respirer, tant la pente est rapide. Presque parvenus au haut, ne voyant
qu’une étroite coupure entre la montagne, et ne découvrant pas que! pouvait être le
chemin qui devait nous conduire sur le plateau, je commençais à désespérer d’y parvenir,
quand tout-à-coup je pris la ferme résolution de poursuivre mon entreprise. Enfin,
après avoir gravi d’énormes blocs de rochers, nous aperçûmes des noms gravés sur la
pierre. De tels indices nous convainquirent que nous avions effectivement pris la bonne
route. Cette coupure, qui est à peu près à la réunion du tiers de droite avec les deux
tiers de gauche, nous conduisit de l’autre côté de la montagne, et nous ne tardâmes
pas à nous trouver sur le sommet, immense plateau séparé en deux par cette coupure,
qui communique à la gorge où est tracée la route. On ne peut se faire une idée exacte
de cette gorge que lorsqu’on y est; car la Table, vue de la base, est loin de donner à
penser qu’un aussi profond ravin sépare en deux cette montagne '
Nous nous reposâmes quelques instants avant de parcourir ce plateau. Nous allâmes
1 De la ville du C.1J1, qui
large en certains endroits.
pied , elle ressemble à une lézarde, ct elle a en réalité plus d'ui ! portée de fvisil do