le grand
du navire
Dans la nuit du 2, le mât de misaine ost brisé, et dans sa chute entrair
màt de hune. Le bout-dehors de beaupré est enlevé en même temps; l’avan
est dans un état déplorable. Le grand màt, qui n’est plus souten
violence du vent, et il ne nous reste que le mât d’artimon.
Le 3 , le temps devenant plus maniable, nous dressons des mâtereaux, et le maître
charpentier Melle s'occupe avec activité â étancher les voies d’eau ouvertes par la tourmente.
, cède bientôt à la
Le vent commence pendant la nuit à soufBer avec force , e t, le 4, le mât d’artiinon,
ne pouvant plus résister, sc brise; sa chute nous fait perdre une embarcation placée en
porte-manteau, et nous réduit ainsi à un seul canot, que , quelques jours avant, on avait
fort lieureiisement mis dans rintérieur du bâtiment pour le réparer.
Dans cette circonstance, d’autant plus critique que nous ne pouvions faire usage de
nos pompes, à cause de la mêlasse qui s’était répandue clans la cale, le capitaine, prenant
l'avis des officiers et des passagers, décide de jeter à la mer une partie de la cargaison,
principalement composée de sucre et de coton. Nous nous mettons tous Inclistinctement
à l’ouvrage, et uous nous efforçons, par des chants, d’accélérer le travail et de nous
distraire de notre pénible situation. Le capitaine, plein d'ardeur, donne une nouvelle
activité partout où il se présente, et nos pesants fardeaux sont enlevés avec la rapidité
(le leclair.
Nous nous rappelons cependant, le docteur anglais Carter (l'un des passagers) et moi,
qu'en visitant le Georges IV dans la rade du Port-Louis, nous nous félicitions de sa
belle apparence ; I t is a good recommendation, me tllsait-11. Nous ne pouvions pas prévoir
alors que le mât de misaine était pourri, et nous ne savions pas que le navire n’avait
pas de chaloupe.
Trois jours entiers sont employés à alléger le bâtiment. Pendant ces travaux pénibles,
un passager, officier de l’armée de terre anglaise, ne cessait de prier Dieu pour nous et
(le nous Encourager à l’ouvrage, mais en n’y prenant lui-même qu’une bien faible part.
L’heure du repas approchait-elle, on l’y voyait accourir le premier, et 11 n’en quittait
point crue son appétit glouton ne fût satisfait. Nous pourrions hicn aussi faire quelques
reproches à un aspirant (Midshlpman) sur sa lenteur à se décider â mettre la main â
l'ouvrave; mais au moins lorsqu’il y fut, il fit comme les autres. Je ne ferai pas le tableau
de notre Eavlre en désordre. 11 est facile de sc représenter l’état affreux auquel nous
étions réduits ; et pourtant une femme en pleurs , qui ne songeait qu’à l'iiorreur de nous
voir engloutis sous les flots, fondait encore des espérances en apercevant sur nos phy-
sionondcs notre calme et notre sang-froid. L'aspect de nos fignrcs et cle nos vêtements
barbouillés nous procurait même encore des instants cle gaietc.
Durant tout ce tracas, notre seul délassement était cle uous réunir le soir après l’ouvrage
dans la chambre du capitaine, pour nous y livrer â des réflexions souvent affligeantes.
Ln jour, après avoir concouru i cc travail, aidé du nommé le Haillon, matelot français
de la c ’oqmUe, qui passait en France pour le même motif que mol , je transportai (le la
cale dans ma chambre , qui était déjà encombrée, les caisses contenant les objets cl histoire
naturelle, dans l'espérance de les sauver plus aisément si nous rencontrions quelque
navire, ou si nous parvenions à nous jeter sur une plage cle sable. Pour en cliiniimer le
nombre, je crus devoir débourrer les gros quadrupèdes et les oiseaux, précaution que
la suite rendit malheureusement inutile.
Le 7, le vent nous permit de faire route vers la baie d’Algoa , dont nous étions éloignés
de 55 lieues d’après les observations. Les hommes de l’équipage s’étant refusés à travailler,
l’eau s’accrut tellement, que la cargaison flottait dans la cale et frappait avec force contre
les parois du navire, ce qui nous causait beaucoup d’inquiétudes. La masse de la cargaison
se jetant sur l’avant du bâtiment, nous nous occupons, d’après mon observation,
à porter des poids sur l’arrière, et le bâtiment peut alors manoeuvrer. Le temps s’em-
bollit : nous faisons bonne route, quoique entraînés par les courants. Le dimanche
matin, 11 juillet, on peut célébrer l’offlce divin.
Le lendemain, quoique le temps fût très-beau, le capitaine, sous prétexte que son
câble était embarrassé dans la cale, et sans avoir rien tenté pour Iti dégager, fit jeter â
la mer la dernière ancre de bossoir, la seule qui nous restât, ct nous priva ainsi très-
inconsidérément de ce précieux moyen de salut.
Cruelle incertitude! quinze jours sont déjà écoulés sans savoir quel sort nous était
réservé, lorsque enfin le i 4 , faisant route au Nord i/4 Nord-Est, nous voyons la terre;
la joie o.st universelle; nous reconnaissons T a b le - liill et le mont Cupola. Tout nous faisait
espérer de pouvoir atteindre la baie de Saint-Sébasticn ; mais contrariés par le calme et
les courants, nous essayons, pendant la nuit, de nous maintenir au vent de cette baie,
pour y entrer au jour. Vains efforts ! nous sommes portés trop sous le vent pour y parvenir.
Dès-lors nous cherchons à nous rapprocher le plus possible de la terre, dans
l’iiuention de nous jeter à la côte; mais les courants nous en éloignaient, et l’équipage,
craignant que nous ne fussions entraînés trop au large pour pouvoir nous sauver piul
tard, demande à effectuer de suite le déliarquement, sans s'inquiéter si noms devions
trouver des obstacles au rivage ou quelque mauvais traitement de la part des naturels,
que nous nous attendions à rencontrer en ces lieux.
Le capitaine fait mettre en panne, et l’embarcation est lancée à la mer.
Le débarquement devait se faire en trois fois. Désigné pour faire partie du premier
détachement, 11 ne m’est permis de prendre avec moi que mon fusil, ma gibecière, contenant
mon journal, mes instruments de dissection, et ma (lûte, que je présumai pouvoir
nous servir à nous attirer los bonnes grâces des hordes barbares que nous craignions de
trouver sur ces rivages. La côte est entièrement hérissée cle rochers à pic ct très-élevés,
cjui rendent 1 attérage impossible à mer haute; heureusement elle était basse alors, et,
après les plus pénibles efforts, nous arrivons au sommet de l’escarpement : nous con-’
tempi,ms avec douleur notre n,ivire prêt â s'engloutir avec notre rlcheFollection, fruit
cle nos longues recherches. On s'étalt tellement empressé de descendre dans le canot,
que personne n'avait songé â se munir ,1e vivres ct d'eau. Le deuxième détachement
arrive au rivage : mais les difficultés luigmeiitées avec la marée montante rendent chacun
de nos compagnons trop attentif à sa propre conservation, pour qu’on puisse penser
a débarquer un sac de biscuit qu’on avait jeté dans le canot, et qui y reste oublié.
La nuit approchait : nous allumons des feux, pour écarter les liêtes féroces dont ces