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Pendant qui" l 'on iraitoit du sort des habitants qui etoient restés à Benhoutli,
(Ic! celui de eeux qui avoienl fui, j e uc fus jias peu surpris de trouver dans les
postes que nous avions dans le village toutes les femmes établies avec une
gaieté et une aisance qui me faisoient illusion; j e nepouvoispas me persuader
qu'elles ne nous entendissent pas ; elles avoieiit eliacune fait librement leur
choix, et en paroissoient très satisfaites: il y eu avoit de charmantes; il
leur sembloit si nouveau detre nourries, servies et bien traitées par des
vainqueurs, que je crois qu'elles auroient volontiers suivi l'ai-iiiée. A2>])artcniv
est tellement leur destin, que ee ne fut que par le sentiment de l'obéissance
qu'elles renU'erent au pouvoir de leurs peres et de leurs maris; et, dans
ces cas désasti eux , elles ne sont point reçues avec cette jalousie scrupuleusement
inexorable qui caractérise les orienlaux: C'est la guerre, disent-ils, nous
n'avons pu les défendre ; c'est la loi des vainqueurs qu'elles ont subie ; elles
n'en sont pas plus flétries que nous déshonorés des blessures qu'ils nous
ont faites: elles rentrent dans le harem, et il n'est jamais question de tout
ce qui s'est passé, Par des distinctions aussi délicates, la jalousie épurée
ne devient-elle pas une passion noble dont on peut même s'enorgueillir?
Nous apprîmes que le cheik.Ii qui eomniandoit ou plutôt cxhortoit les
Mekkains s'étoit sauvé vers la iin de la derniere nuit; que pendant le
siege il avoit prié sans combattre; que de temps à autre il sortoit de sa
retraite, disoit aux siens: Je prie le ciel pour vous; c'est à vous de combattre
pour lui. C'étoit après ces exhortations que nous avions entendu ces chants
pieux, suivis de cris de guerre, de sorties, et de décharges générales.
L e 21, nous nous remîmes en marche sur Kénè pour aller savoir s'il y
restoit des Mekkains, et où pouvoit être le général Desaix; cette marche
fut ti-oublée par ces vents qui, sans nuages, remplissent l'air de lant de
sable qu'il ne fait ni jour ni nuit: nos barques ne pouvant marcher, nous
fûmes obligés de nous arrêter à un qu.art de lieue de ce fatal Benhouth
de sinistre mémoire. Le lendemain, nous arrivilmes à Kéné à neuf heures
du matin, où nous trouvâmes des lettres du général Desaix, qui ignoroit
les événements de la flotte et notre position. La ville étoit débarrassée
d'ennemis, et les habitants vinrent au-devant de nous.
Kénè a succédé à Kous, comme Kous avoit succédé à Copthos : sa situation
a cet avantage qu'elle est immédiatement au débouché du désert, et
sur le bord dn Nil; elle n'a jamai s été aussi florissante que les deux autres,
parcequ'elle n'a existé que depuis que le commerce de l'Lide a été détourné
et presque anéanti, soit par la découverte de la route du cap
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de Bonne-Espérance, soit par la tyrannie du gouvernement égyptien.
Réduit au passage des pèlerins, son commerce n'avoit quelque activité
(fu'au moment de la marche de la grande caravane. C'est à Kéné que s'approvisionnent
les pèlerins des oasis, ainsi que ceux de la haute Egypte,
et qxielques Nubiens; ils y prennent non seulement ce qui est nécessaire
pour la traversée du désert jusqu'à Cosséir, mais encore pour le voyage de
Gedda, de Médine, et de la Mekke, et pour le retour; car ces villes n'ont
pour territoire qu'un désert pierreux (i), où l'on n'existe qu'à force d'or;
de sorte que si, grâces au fanatisme, la Mickke est restée un point de
contact entre l'Inde, l'Afrique, et l'Europe, elle est aussi devenue un
abyme dans lequel une population de cent vingt mille habitants absorbe
l'or de l'Inde, de l'Asie mineure, et de toute l'Afrique.
Nos mouvements sur la Syrie, et notre guerre d'Egj-pte ayant ruiné la caravane
de l'an six, et dissous pour l'an sept toutes celles d'Europe et d'Afrique,
et les Indiens ne trouvant point d'échange aux marchandises qu'ils avoient
apportées a la Mekke, son commerce, qui depuis long-temps diminue, dut
éprouver à cet te derniere époque un échec peut-être irréparable. En certauis
cas, lorsqu'un ressort d'une vieille machine se rompt, la machine s'écroule;
il ne faut donc pas s'étonner si, l'intérêt se joignant au fanatisme, la croisade
de la Mekke fut organisée avec autant de rapidité, et apporta contre
nous toute la rage qu'inspirent les passions les plus violentes.
T.e général Belliai d eût poursuivi les Mamelouks effrayés et les Mekkains
vaincus; mais il falloit des munitions pour rentrer en campagne, et nous
(în manquions absolument. Nous fûmes obligés de fortifier la maison où
nous nous étions logés ii Kénè, et (¡ui nous servoit de quartier: nous ne
recevions aucune nouvelle de personne, pas même de Desaix; le pays étoit
couvert d'ennemis dispersés, qui arrêtoient et tuoient nos émissaires, ou lo.s
empèchoienl de se mettre en route, et nous tenoient isolés d'une maniere
inquiétante. L'infatigable Desaix avoit poursuivi les Mamelouks jusqu'à
Siouth, avoit forcé Mourat-bey à se jeter dans les oasis; il avoit fait passer
le général Friand à la rive droite, pour foire parallèlement à lui la chasse
à lilli-bey et aux corps dispersés des Mamelouks. Desaix vint nous trouver
a Kéné; et nous nous remimes en campagne.
Nous nous dirigeàu.es vers Kous, où étoient les Mekkains, et d'où ils
foisoient des incursions dans les villages de l'une et l'autre rive, volant et
(1) J,c i»iii> cmilP i> la Mckkc <1P huil h .IW s"us la livre, ce (]II: est cnoi-TNE ON orient.