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opulentes aTant notre entrée dans cette ville; Bonaparte ne vouloit point
<îc fournisseurs, el la flotte marchande se trouvoit bloquée par les Anglais:
t o u t e s ces circonstances jetoient un voile sombre sur l'Egypte pour tous
ces voyageurs, étonnés de se trouver captifs, déçus de leurs projets, et
obligés de concourir à la défense et à l'organisation d'un établissement
qui ne devoit plus faire que la fortune et la gloire de ia nat ion en général:
ils écrivoient eu France de tristes récits, que les Anglais interceptoient, et
qui contrihuoient à les tromper sur notre situation. Les Anglais se complaisoient
à croire que nous mourions de faim, nous renvoyoient nos prisonniers,
pour hâter l'époque de notre destruction, imprimoient dans leurs
gazettes que la moitié de notre armée étoit à l'hôpital, que la moitié de
l ' a u t r e moitié étoit obligée de conduire le reste qui étoit aveugle; tandis
que cependant la haute Kgj-pte nous fournissoit en abondance le meilleur
b l e d , et la basse le plus beau riz; que le sucre du pays coùtoit la moitié
moins qu'en France; que des trcmpeaux innombrables de buffles, boeufs,
moutons el chevres, tant des cultivateurs que des Arabes pasteurs, fournissoient
abondamment à une consommation nouvelle au moment même
de l'invasion, ce qui nous assuroit pour l'avenir abondance et superflu;
tandis que, pour le luxe de nos tables, nous pouvions ajouter toutes espcccs
de volailles, poissons, gibiers, légumes et fruits. Voilà cependant ce que
offroit d'o])jcts de premiere nécessité à ces détracteurs, à qui il
falloit de For pour réparer l'abus qu'ils en aboient fait, et qui, n'en trouxant
point, ne vovoient plus autour d'eux que des sables bridants, un
soleil perpétuel, des puces et des cousins, des chiens qui les cuipéchoicnt
de dormir, des maris intraitables, des femmes voilées ne leur montrant
(pie des gorges éternelles.
Mais abandonnons au vent cette nuée de papillons qui affluent toujours
o ù brille une premiere lueur: voyons, nos triomphes et la paix rouvrir la
porte d'Alexandrie, y amener de sages et industrieux cultivateurs, d'utiles
négociants, des colons enfin, qui, sans s'effrayeJ- de ce <{ue l'Afrique ne
ressemble pas à l'Europe, observeront qu'en Egypte un homme, pour trois
sous, peut avoir autant qu'il lui en faut pour un jour du un;illeur riz du
monde; qu'une partie des terres qui ont cessé d'être inondées peuvent
ê t r e rendues à la culture par l'arrosemeiit, que des miuilins à vent feroient
monter plus haut que les moulins à pots (|u'on y emploie, et (pii consomment
tant de boeufs, occupent tant de bras; (jue les isles du Nil et
la plus grande partie du Delta n'attendent que des colons améiicains
pour produire les plus belles cannes à sucre sur un sol qui ne dévorera
pas les hommes; en s'approchant du Caire et par-delà, ils verront qu'il
n 'y a qu'à améliorer pour rivaliser avec toutes les plantations d'indigo et
de coton de toutes especes; qu'en faisant «ne fortune sage et sure, ils
habiteront sous un ciel pur et sain, sur le bord d'un fleuve d'une espece
presque miraculeuse, et dont on ne peut achever de nombrer les avantages
: ils verront une colonie nouvelle avec des villes toutes bâties, des
travailleurs adroits accoutumés à la peine et tout acclimatés, avec lesquels,
en peu d'années, et à l'aide des canaux qui sont tous tracés, ils créeront
de nouvelles provinces, dont l'abondance future n'est pas problématique,
puisque l'industrie moderne ne fera que leur rendre leur ancienne splendeur.
A l'égard de nos soldats insouciants, ils se moquèrent de nos marins
(|ui avoient été bat tus: imaginèrent que Mourat-bey avoit un chameau blanc
chargé d'or et de diamants; et il ne fui plus question que de Mourat-bey
et de son chameau blanc. Pour moi, j'avois à voir la haute Egypte, et
j'ajournai à penser sur notre situation que mon voyage iïïl fini.
Notre tournée dans le Delta se retardoit par les affaires qui survenoient
au général Mcnou: je résolus d'employer ce retard à revenii- siu- mes pas
refaire par terre la partie dont je n'avois apperçu que les cotes en venant
d'Alexandrie par mer; je profitai d'une caravane pour aller chercher les
ruines de Cauope.
Il s'étoit joint nombre de gens du pays à l'escorte de cette caravane : à la
chute du jour, lorsqu'en sortant de la ville elle commença à se développer
sur le tapis jaunâtre et lisse des nmnticules sablonneux qui envirouneut
Rosette, elle produisit l'effet le plus pittoresque et le plus imposant; les
groupes de militaires, ceux des marchands dans leurs différents costumes,
soixante chameaux chargés, autant de conducteurs arabes, les chevaux,
les ânes, les piétons, quelques instruments militaires, oifroietit la vérité
d'un des plus beaux tableaux du Benedetto, ou de Salvator Rose. Dés que
nous eûmes descendu les monticules et dépassé les palmiers, nous entrâmes,
au jour expirant, dans un vaste désert, où la ligne hoiùzontale
n'est brisée (jue par quelques petits monuments en briques, qui sont destinés
à empêcher le voyageur de se perdre dans l'espace, et sans lesquels
la plus petite erreur dans l'ouverture d'angle le feroit aboutir par une
ligne prolongée à un but bien éloigné de celui où il tendoit. Nous marchions,
dans le silence du désert et des ténebres, .sur une croule de se)