Le jour de l'anniversaire de la naissance de Mahomet étoil arri-sé: mous
vîmes avec surprise qu'on ne f'aisoit aucun pirparatil pour célébrer cette
f ê t e , la plus solennelle de l 'année iKÎgiricTuie. "Vers le soir, le général Menou
envoya chercher le nioiifti, dont not r e arrivée avoil augment é les honneurs
e t les honoraires ; ses réponses furent évasives : les autres municipaux
q u e s t i o n n é s dirent ([u'ils avoient proposé les préparatifs d'usage, mais ([ne,
ue pouvant agir qu'en second dans une chose qui étoit du département
d e lenr colle^ue le moufti, ils avoient été obliges d'attendre des ordres à
cet égard. Le prêtre fut dévoi lé: courtisan, il deraandoit et obtcnoi t chaque
j o u r une nouvelle faveur; mais l'occasion s'étant présentée de faire croire
a u peuple que nous nous opposions à ce qui étoit un des actes les plus
sacrés de son culte, il l'avoit saisie: il fut déjoué à la maniéré orientale;
o n lui signifia qu'il hdloit que la féte eût lieu à l'instant: sur I'ohservalion
q u e l'on n'auroit jamais assez de temps pour faire les prépai-atifs, le gén
é r a l lui dit que si ce qui restoit de temps ne suffisoit pas pour ordonner
la fête, il suffiroit pour conduire le moufti aux fers. T,a féte fui proclamée
d a n s un quarf-d'henre; la ville fut iflumiiiéc, <'t les chants de piété furent
u n i s à ceux de l'alégresse et de la reconnoissance.
Après souper, nous fûmes invités à nous rendre dans le quartier du
preTnier magistrat civil, où nous trouvâmes dans la rue tout l'appareil d'une
f ê t e turque : la rue étoit la salle d'assemhlée, qui s'alongcoit ou se raec
o u r c i s s o i t suivant h- nombr e des assistants; une estrade convene de tapis
f u t occupée par les personnes distinguées; des feux, joint s à une quantité
d e petites lampes et de grands cierges, formoient une bizarre ilhnnination;
d ' u n côté, il y avoit une musique guerrière, composée de petits hautbois
c o u r t s et criards, de petites timbales, et de grands tambours albanois ;
d e l'antre, étoient des violons, des chanteurs; et au milieu, des danseurs
g r e c s , des serviteurs chargés de conlitures, de café, de sirop, d'eau de
r o s e , et de pipes: tout cela complétoit l'appareil de la féte.
Dès que nous fûmes placés, la musique guerriere comnu-nea : u ne espece
d e coryphée jouoit deux phrases de musifjue que les auti'es répétoient en
c h oe u r ii l'unisson; mais, soit faute de tnouvemenl dans l'air, soit manie
d e le broder, la seconde mesure étoit déjà une cacoplu)nie aussi désa
g r é a b l e pour des oreilles bien organisées qu'enchanteresse jK)ur celles des
Arabes. Ce (|ue j e remarquai, c'est que le coryphée repreiujil loujoin's le
mctne chant avec l'importance et l'enthousiasme d'un improvisateiu' ins
p i r é , et, quatid ses nerfs scmbloient ne pouvoir plus supporter l'cxallalitm
de l'expression qu'il vouloit y mettre, le choeur venoit à son secours, et
t o u j o u r s avec la même dissonance; les violons, plus supportables, jouoient
e n s u i t e des refrains, on im peu de mélodie étoil noyé dans des ornements
superflus : la voix nasarde d'un elianteur inspiré venoit ajouter
e n c o r e à la fastidieuse iiH)llessc des semi-tons du viohm, qui, évitant sans
cesse la note du Ion, tournoit autour de la seconde, et tcrminoi t toujours
par la sensible, comme dans les seguidilles espagnoles: ceci pourroit servir
à prouver que le sc^our des Arabes en Espagne y a naturalisé ce genre de
c h a n t : après le couplet, le violon reprenoit le même motif avec de nouvelles
variations, que le chanteur déguisoit de nouveau par ini uiouveinent
p o i n t é , jusqu'à faire perdre entièrement le motif, et n'offrir plus que le
d é l i r e d'une expression sans principe et sans rbythme; mais c'étoit là ce qui
ravissoit toujours de plus cti plus les auditeurs. La danse, qui suivit, fnt
d u même genre qxie le chant; ce n'étoit ni la peinture de la joie ni celle
de la gaieté, mais celle d'une volupté qui arrive très rapidement à une
lasciveté, d'autant plus dégoûtante, que les acteurs, toujours masculins,
e x p r i m e n t de la maniere la plus indécente les scenes qiu; l'amour même
n e permet aux deux sexes que dans l'ombre du mystei-e.
De petites affaires éloignoient sans cesse notre grande tournée, et rct
a r d o i e i ï t ce qui faisoit l'objet de mon voyage. Obligé de rapprocher mes
obsei-vations autour de moi, je remarquai combien, dans la variété des
ligures, il étoit facile de distinguer les races des individus qui composoient
la population de Rosette; j e pensai que cette ville, entrepôt de commerce,
devoit naturellement rassembler toutes les nations cjui couvrent le sol de
l ' E g y p t e , et devoit les y conserver plus séparées et plus caractérisées que
dans une grande ville, comme le Caire, où le relàehement des moeurs les
croisent et les dénaturent. ,Te crns doue reconnoitre évidemment dans
les Cophtes rauti(|ue soiu-he égyplieune, espece de Nubiens basanes, tels
q u ' o n en voit les formes dans les anciennes sculptures: des fronls plats,
s u r m o n t é s de cheveux demi-laineux; les yeux j)eu ouverts, et relevés aux
angles; des joues élevées, des nez plus courts qu'épatés, la bouche grande
e t plate, éloignée du nez et bordée de larges levres; nue barbe rare et
p a u v r e ; peii de grace dans le corps; les jambes arquées et sans mouvem
e n t dans le contour, et les doigts des pieds alongés et plats. Je de.ssinai
la tète de plusieuis individus de cette race ( 2 c/ 3, /V. 108 ) : le
p r e m i e r (-toit un prêtre ignorant et ivrogne; le second, un calculateur
a d r o i t , fin et délié : ce sont les qualités morales qui caractérisent ces
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