étions logés loin des autres; notre maison pouvoil être pillée par qui
auroit voulu en prendre la peine: soixante hommes venoient d'arriver au
secours de nos confreres: rassurés sur leur compte, nous prîmes le parti
d'aller nous retrancher chez nous de maniéré à tenir quatre heures au
moins, si l'on nous attaqnoit avec des Torces ordinaires, cl attendre ainsi le
secours que notre ieu auroit sans doute appelé. Nous crûmes un moment
être investis; nous avions vu fuir tous les paisibles habitants; les cris s'entendoient
sous nos murs, et les balles siffloienl sur nos terrasses; nous les
démolissions pour écraser avec leurs matériaux ceux qui seroient venus pour
enfoncer nos portes; dans un cas extrême, l'escalier, par où l'on pouvoit
nous atteindre, étoit devenu une machine de guerre à ensevelir tous nos
ennemis à la fois; nous jouissions de nos travaux, lorsqu'eniin la grosse
artillerie du château vint faire la diversion après laquelle je soupirois;
i'ile produisit Lout l'effet que j'en attendois; la consternation succéda à la
f u r e u r : on ne pouvoit battre la mosquée; mais elle devint le seul point
de rassemlilenient des ennemis, tout le reste demanda grace; la Tnosquée
même fut tournée, une batterie lui apprit que chez nous hi guerre ne
cessoit pas avec le jour : ils levèrent leurs barricades, crurent pouvoir faire
une sortie, furent repoussés, et se rendirent. Le reste de la nuit fut calme;
le lendemain nous fûmes libres.
Nous venions de'conquérir le Caire, ((ui la premiere fois n'avoit fait
que se rendre au vainqueur des Mamelouks: les apathiques et timides
Egyptiens avoient souri au départ de ceux qui les vexoient par des injustices
et des avanies sans nombre; mais bientôt ils avoient regretté leurs
tyrans, quand il avoit fallu payer leurs libérateurs; revenus de leur premiere
terreur, ils avoient écouté contre nous leur moufti, et, animés par un enthousiasme
fanatique, ils avoient conspiré dans le silence. 11 eût peut-être
fallu livrer sans exception au trépas tous ceux dont les yeux avoient vu
se replier des compagnies de Français; mais la clémenee avoit devancé le
r e p e n t i r : aussi l'esprit de vengeance ne fut point étouffé par la consternation;
c'est ce que je lus le lendemain dans l'attitude et dans l'expression
de la physionomie des mécontents; je sentis que si avant la journée du
i " brumaire nous étions déjà circonscrits par un cercle d'Arabes, un ccrde
plus étroit venoit de nous enceindi c, et que désormais nous tie marcherions
plus qua travers de nos ennemis. On arrêta, on punit quelques traîtres,
mais on rendit les mosquées (jui avoient été l'asyle du crime; et l'orgueil
des coupables s'investisse it de celte condescendance: le fanatisme ne fut
pas terrassé par la terreur; et, quelque danger que l'on pùt faire envisager
à Bonaparte, rien ne put altérer le sentiment de bonté qu'il déploya dans
cette circonstance: ¡1 voulut être aussi clément qu'il auroit pu être terrible;
et le passé fut oublié, tandis que nous comptions des pertes nombreuses
et importantes.
Le général Dupuis, excellent capitaine, qui, pendant deux ans daTis les
brillantes campagnes d'Italie, avoit bravé tous les dangers dont est semée
la earriere de la gloire, est assassiné dans une reconnoissance par un coup
lâchement assené; un couteau au bout d'un bâton, laneé par l'eiiibrasuro
d'une fenêtre, lui coupe l'artere du bras, et il expire au bout de quelques
instants: le jeune et brave Sulcowsky, ii peine guéri des blessures dont
l'avoit couvert le combat chevaleresque de Salaycr, va l'eeonnoîtrc l'ennemi,
le voit, l'attaque, malgré la disproportion du nombre, le culebuK',
le poursuit, tombe dans une embuscade; son cheval percé d'une lance se
renverse sur lai, et il est écrase par celui qui vole à son seeoui's: ainsi
finit un des officiers les plus distingués de l'armée; observateur dans les
marches, chevalier dans les combats, hi [ilume délassoit ses uiains des
fatigues des armes; il venoit de décrire la marche sur Belb(-ys avec autant de
grace et d'intérêt qu'un autre en auroit pu mettre à raconter les combats
qu'il y avoit soutenus, les blessures glorieuses qu'il y avoit reçues: ambitieux
de la gloire, ce jeune étranger avoit cru ne la trouver <[ue dans nos bataillons;
captivant la vivacité de son caractere, il avoit mesuré ses mouvements
sur ceux de celui qu'il avoit choisi pour maître; il poussoit l'envie
d'en être distingué, jusqu'il la jalousie; et la tâche qu'il s'étoit proposée
donnoit la mesure de ce qu'on pouvoit attendre de lui. J'avois été conlident
des passions de sa jeunesse; je l'étois de sa noble ambition; elle étoit belle
et grande; c'étoit par l'étude, c'étoit par un niétite réel qu'il vouloit parvenir.
Il n'y avoit que quelques heures que, dans un épanehement amical,
il venoit de m'intéresser par son énergie, lorsque la nouvelle de sa mort
vint flétrir et frois.ser mon ame; c'étoit un des ofliciers que je pouvois le
plus aimer, et ce fut peut-être sa perte qui jeta un voile triste sur la
victoire du i" brumaire.
Si la populace, quelques grands, et tons les dévots se montrèrent fana,
tiques et cruels dans la révolte du Caire, la classe moyenne, celle où dans
tous les pays résident la raison et les vertus, fut parfaitement humaiite et
généreuse, malgré les moeurs, la religion, et la langue, qui nous rendoient
si étrangers les uns aux autres : tandis que des galeries des minarets ou
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